Complots et cabales
peut-être pas abandonné les folles avoines de son passé
autant que l'exigeait sa soutane, et d'autant que l'infirmité du petit clerc, si mon hypothèse était juste, lui assurait une discrétion exemplaire. Cependant, je ne laissais pas d'écarter de mes mérangeoises cette pensée, car de tout ce long voyage que nous limes tous trois ensemble, rien ne vint jamais confirmer la déquiétante supposition que je m'étais forgée.
Non que je me permette de formuler céans le moindre jugement sur ces hommes qui, préférant leur propre sexe àl'autre, ont péri pendant tant de siècles dans les flammes du fanatisme. Et du diantre si j'irai jamais apporter ma petite b˚che à ces b˚chers barbares ! Je n'ai pas lu non plus sans mésaise dans l'Ancien Testament la cruelle destruction de Sodome, et d'autant que dans la ville devaient subsister des hommes et des femmes qui s'aimaient; sans cela, faute de naissances, la ville aurait de soi dépéri, sans qu'il f˚t nécessaire de l'embraser et de la tuer toute.
Je ne me ramentois que deux choses de ce long voyage,, l'une qui éclaira la physionomie de Fogacer d'une lumière inattendue, et l'autre qui fut une "
redisance " dont il me dit qu'elle était de la plus grande conséquence. Et en effet, lecteur, elle l'était, comme on verra plus loin.
Pendant les premiers temps de ce chemin cahotique, Fogacer, qui était pourtant, comme disait mon père, <
bien
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fendu de gueule
>, baissait beaucoup la voix, ou même demeurait bouche cousue, quand le petit clerc, s'aquiétant, s'assoupissait ou paraissait s'assoupir. ¿ mon sentiment, il ne devait pas avoir plus de dix-sept ans. Il s'appelait SaintMartin, et quand il dormait, il avait, en effet, l'air d'un saint, et même d'un ange, tant il portait sur le visage un air d'innocence, de bonne foi et d'enfantine gentillesse.
Rien de tout cela n'était perdu pour Fogacer. Mais n'osant trop le couver de l'oeil en raison de ma présence, il le regardait quand et quand d'une façon rapide et furtive, et même alors, ses yeux ne laissaient pas de faire apparaître une amour sans limites, et dont je m'apensais qu'elle irait jusqu'aux derniers sacrifices, s'il en était besoin. Je me fis alors cette réflexion que tout sentiment, quel que f˚t son objet, était noble, dès lors qu'il comportait un tel oubli de soi.
Ce fut seulement quand le petit Saint-Martin s'endormit tout à plein que Fogacer, sotto voce, me révéla la redisance qu'il avait annoncée.
- La source, dit-il, est tout à fait digne de confiance. Et de reste vous la connaissez. Elle appartient à ce que vous appelez - bien inexactement -
le gentil sesso, et vous l'avez encontrée chez ce luron de Guron (giocco di parole, m'apensai-je, bien dans la manière d'un chanoine).
Toutefois, même au bec à bec et Saint-Martin dormant àpoings fermés, Fogacer ne cita pas de nom : on e˚t dit que les coussins de la carrosse pouvaient avoir des oreilles, tant il était prudent. Il est vrai que ce qu'il me répéta dépassait tout ce que j'eusse pu imaginer de pire, et me laissa béant et consterné.
Voici, lecteur, le récit de Fogacer tel que je le transcrivis aussitôt, afin de le remettre sans délai au roi.
La reine-mère reçut à la nuitée, avant que de départir de Paris, un quidam, lequel avait le nez fort bouché dans son manteau. L'entretien eut lieu sans témoin, à tout le moins visiblement, car notre rediseuse, éveillée par ce mystère, colla à l'huis sa mignonne oreille et apprit de prime que le visiteur de sa maîtresse s'appelait le Censuré.
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- Mais j'ai ouÔ parler de ce coquart! dis-je, béant.
- Moi aussi, dit Fogacer, et d'autant que c'est mon évêque qui l'a censuré
pour avoir tiré pécunes d'aucunes sottes gens à qui il avait prédit l'avenir en affirmant connaître, par ses charmes, le secret des destins.
Toutefois, étant protégé par un grand seigneur, aussi crédule que les commères des halles, il ne fut ni serré en geôle, ni pendu. Tant est que faisant de sa propre censure une gloire, il se fit appeler, avec la dernière effronterie, Monsieur le Censuré, ce qui - les hommes étant ce qu'ils sont - ajouta prou à sa réputation et augmenta sa clientèle.
- Et la reine-mère fit appel à cet imposteur ?
- Eh oui ! Et ce ne fut assurément pas la première fois qu'une reine ou un roi de France consulta un devin. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, la crédulité n'est pas l'apanage des manants et des ouvriers
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