Conspirata
je fis un cauchemar où je lui demandais des
nouvelles de la jeune fille ; il me répondait qu’il ne voyait pas du tout
de qui je voulais parler et que, de toute façon, tous ses esclaves de Misène
étaient morts. Lorsque je m’éveillai, épuisé, dans l’aube grisâtre, je me
sentais très angoissé, comme si l’on m’avait écrasé la poitrine sous une grosse
pierre. Je regardai dans la chambre de Cicéron, mais son lit était vide. Je le
trouvai assis sans bouger dans la bibliothèque, les volets clos et une petite
lampe allumée près de lui. Il me demanda si c’était l’aube. Il voulait rentrer
parler à Terentia.
Nous partîmes peu après, escortés par un nouveau détachement
de gardes du corps commandé par Clodius. Depuis le début de la crise, ce
dépravé notoire s’était proposé régulièrement pour escorter le consul, et ces
manifestations de loyauté, qui allaient de pair avec la défense de Murena qu’avait
assurée Cicéron, avaient renforcé le lien qui unissait les deux hommes. J’imagine
que ce qui avait attiré Clodius chez Cicéron était la possibilité d’apprendre l’art
de la politique auprès d’un maître – il avait l’intention de se
présenter au sénat l’année suivante –, alors que Cicéron était amusé par
les bêtises juvéniles de Clodius. Quoi qu’il en soit, même si je me méfiais de
lui, je fus content de le voir arriver ce matin-là car je savais qu’il saurait
dérider le consul avec quelques potins distrayants. D’ailleurs, il commença
tout de suite.
— Sais-tu que Murena va se remarier ?
— Vraiment ? s’exclama Cicéron, surpris. Avec qui ?
— Sempronia.
— Mais Sempronia n’est-elle pas déjà mariée ?
— Elle est en train de divorcer. Murena sera son
troisième mari.
— Trois maris ! Quelle dévergondée.
Ils firent quelques pas.
— Elle a une fille de quinze ans de son premier
mariage, déclara pensivement Clodius. Tu le savais ?
— Non.
— J’envisage de l’épouser. Qu’est-ce que tu en penses ?
— Murena deviendrait alors ton beau-père par alliance ?
— Effectivement.
— Ce n’est pas une mauvaise idée. Il pourra beaucoup
aider ta carrière.
— Elle est aussi formidablement riche. C’est l’héritière
des Gracques.
— Alors, qu’est-ce que tu attends ? demanda
Cicéron, ce qui fit rire Clodius.
Lorsque nous arrivâmes chez Cicéron, les fidèles, conduites
par les vierges vestales, sortaient, les yeux brouillés, dans le matin glacé.
Une foule de curieux s’était rassemblée pour les regarder passer. Certaines,
comme Pompeia, la femme de César, semblaient chancelantes et devaient être
soutenues par leurs servantes. D’autres, dont la mère de César, Aurélia,
paraissaient indifférentes à ce qu’elles venaient de vivre. Elle passa devant
Cicéron avec un visage de marbre, sans lui accorder un regard, ce qui
indiquait, pensai-je, qu’elle savait ce qui s’était produit au sénat la veille.
En fait, un nombre étonnant des femmes qui quittaient la maison avaient un lien
plus ou moins solide avec César. Je dénombrai au moins trois de ses anciennes
maîtresses – Mucia, la femme de Pompée le Grand ; Postumia, la
femme de Servius ; et Lollia, qui était mariée à Aulus Gabinius. Clodius
contemplait avec excitation cette parade parfumée. Puis Servilia, épouse du
consul désigné Silanus et favorite de César, franchit la porte de la maison et
sortit dans la rue. Elle n’était pas particulièrement belle, mais son visage
était séduisant – je crois qu’on aurait pu le qualifier de masculin – et
exprimait surtout l’intelligence et la force de caractère. Et il n’est pas
surprenant qu’elle fût la seule parmi toutes ces épouses de grands magistrats à
s’arrêter devant Cicéron pour lui demander ce qui allait se passer selon lui.
— Ce sera au sénat de décider, répondit-il prudemment.
— Mais d’après toi, que décidera-t-il ?
— Je ne peux pas parler à la place des sénateurs.
— Tu vas leur donner une indication ?
— Si je le faisais, pardonne-moi, je l’annoncerais d’abord
au sénat plutôt que maintenant en pleine rue.
— Tu ne me fais pas confiance ?
— Si, bien sûr, Servilia. Mais on pourrait surprendre
notre conversation.
— Je ne sais pas ce que tu entends par là !
Elle avait pris une voix offensée, néanmoins ses yeux bleus
perçants brillaient d’un humour malicieux.
— C’est de
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