Conspirata
Cicéron demanda :
— Quelqu’un d’autre voudrait-il s’exprimer contre une
peine de mort immédiate ?
C’est alors seulement que César décroisa lentement les
jambes et se leva. Une formidable cacophonie de cris et de quolibets s’éleva
aussitôt, mais César s’y attendait visiblement et avait préparé sa réaction. Il
garda les mains derrière le dos et attendit patiemment que le bruit s’estompe.
— Pères conscrits, quiconque pèse une question
difficile doit chasser de son esprit la haine et la colère tout autant que l’affection
et la compassion, déclara-t-il de sa voix basse et menaçante. Il n’est pas
facile de discerner la vérité si l’on cède à l’émotion.
Il prononça ce dernier mot avec un mépris si mordant qu’il
réduisit aussitôt ses adversaires au silence.
— Vous vous demandez peut-être pourquoi je m’oppose à
la peine de mort…
— Parce que tu es coupable, toi aussi ! cria une
voix.
— Si j’étais coupable, rétorqua César, quelle meilleure
façon de le cacher que de me joindre à votre chœur pour réclamer la mort ?
Non, je ne m’oppose pas à la mort parce que ces hommes ont été mes amis – dans
les affaires publiques, il convient de laisser de tels sentiments de côté. Je
ne m’y oppose pas non plus parce que je juge leur crime insignifiant. Je pense
franchement qu’aucune torture ne serait assez cruelle pour punir ces hommes.
Mais les gens ont la mémoire courte. Une fois que les criminels sont passés en
jugement, leur culpabilité ne tarde pas à s’effacer ou bien devient sujet à
polémique. En revanche, ce qui est ineffaçable, c’est leur châtiment, surtout s’il
est sévère. Je suis certain que Silanus a l’intérêt de son pays à cœur lorsqu’il
défend sa proposition. Pourtant, elle me paraît, non pas cruelle – car
rien ne saurait être trop cruel quand on traite avec de tels personnages – mais
en contradiction avec le droit public de notre république.
« Tous les précédents regrettables trouvent leurs
origines dans des mesures qui paraissaient à l’époque souhaitables. Il y a
vingt ans, quand Sylla a ordonné l’exécution de Brutus et de ses semblables,
qui parmi nous n’a pas approuvé son action ? Ces hommes étaient des
scélérats et des fauteurs de troubles ; tout le monde s’accordait à penser
qu’ils méritaient de mourir.
Pourtant, ces exécutions ont en fait été le premier pas sur
le chemin d’une catastrophe nationale. Très vite, celui qui convoitait la terre
ou la villa d’un autre – ou même, à la fin, sa vaisselle ou ses
vêtements – pouvait s’en débarrasser en le dénonçant comme traître.
Ainsi, ceux qui s’étaient réjouis de la mort de Brutus se retrouvèrent
eux-mêmes traînés au supplice, et les tueries ne cessèrent que quand Sylla eut
gavé de richesses tous ses partisans. Bien sûr, je ne crains rien de tel de
Marcus Cicéron. Mais, dans une grande nation comme la nôtre, il y a bien des
caractères différents, et il peut arriver qu’en d’autres temps, sous un autre
consul qui aurait, comme lui, une armée à sa disposition, on prenne le faux
pour le vrai. Si le cas se présentait et que, fort de cet exemple et armé d’un
décret du sénat, ce consul choisissait de tirer le glaive, qui aurait-il pour l’arrêter ?
Son propre nom ayant été prononcé, Cicéron intervint :
— J’ai écouté les remarques du grand pontife avec
beaucoup d’attention, dit-il. Propose-t-il que les prisonniers soient tout
simplement relâchés pour qu’ils puissent grossir l’armée de Catilina ?
— En aucun cas, répondit César. J’admets qu’ils ont
perdu le droit de respirer le même air et de voir la même lumière que le reste
d’entre nous. Toutefois, la mort a été prescrite par les dieux immortels non
pour punir, mais pour nous soulager de nos maux et de nos épreuves. Si nous les
tuons, nous mettrons fin à leurs souffrances. Je propose donc un destin plus
cruel : que tous les biens des prisonniers soient confisqués et qu’eux-mêmes
restent emprisonnés, chacun dans une ville séparée, jusqu’à la fin de leurs
jours. Les condamnés ne pourront jamais faire appel de cette peine, et
quiconque tentera de le faire pour eux se rendra coupable d’un acte de trahison .
La vie, pères conscrits, conclut-il, devra signifier toute la vie.
Quelle impudence ! Mais aussi quelle intelligence et
quelle efficacité ! Alors même que je
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