Conspirata
une
peine pire que la mort car César exclut même l’espoir, seule consolation des
hommes dans le malheur. Il recommande encore la confiscation de tous leurs
biens, afin d’ajouter la pauvreté à leurs autres tourments. La seule chose qu’il
laisse à ces scélérats est la vie – alors que s’il la leur avait
prise, il leur aurait épargné d’un seul coup douloureux bien des souffrances
tant physiques que morales.
« Maintenant, pères conscrits, je sais exactement où
est mon intérêt. Si vous adoptez la motion de César, qui est du parti
populaire, j’aurai moins de raison de craindre les attaques de la plèbe, parce
que je suivrai ce qu’il a défendu. Alors que si vous adoptez l’autre solution,
je redoute bien d’autres ennuis. Cependant, plaçons les intérêts de la
république au-dessus des dangers qui peuvent me menacer. Nous devons faire ce
qui est juste. Répondez-moi : si un chef de famille découvrait ses enfants
tués par un esclave, son épouse assassinée et sa maison brûlée, et qu’il n’infligeait
pas la peine capitale aux coupables, le jugerait-on bon et compatissant ou bien
le verrait-on comme le plus inhumain et le plus cruel des hommes pour n’avoir
pas vengé les siens ? Je pense qu’un homme qui ne soulage pas son chagrin
et sa souffrance en infligeant une peine similaire au coupable est quelqu’un
qui ne ressent rien et a un cœur de pierre. Je soutiens donc la proposition de
Silanus.
César se leva aussitôt pour intervenir :
— Mais, là où le plaidoyer du consul pèche, c’est que
les accusés n’ont pas commis de tels crimes – ils sont condamnés pour
leurs intentions et non pour ce qu’ils ont effectivement fait.
— Exactement ! s’éleva une voix de l’autre côté de
la salle, et toutes les têtes se tournèrent vers Caton.
Si le vote avait eu lieu à ce moment, je n’ai guère de doute
que la proposition de César eût été adoptée malgré l’avis du consul. Les
prisonniers auraient été répartis par toute l’Italie et auraient pourri en
prison ou bien auraient été graciés selon les caprices de la politique, et le
destin de Cicéron en eût été fort différent. Mais au moment même où l’issue
semblait assurée, des rangs situés au fond du temple se dressa une silhouette
familière, négligée et émaciée, les épaules nues malgré le froid, le bras levé
pour indiquer sa volonté d’intervenir.
— Marcus Porcius Caton, dit Cicéron d’une voix
hésitante, car on ne savait jamais de quel côté la logique rigide de Caton
allait le faire pencher. Tu veux dire quelque chose ?
— Oui, je veux parler, dit Caton. Je veux parler parce
qu’il faut bien que quelqu’un rappelle à cette assemblée ce à quoi nous sommes
confrontés. La question, citoyens, est justement que nous ne traitons pas de
crimes qui ont été commis mais de crimes programmés. Et c’est précisément pour
cette raison qu’il ne servira à rien d’invoquer la loi a posteriori : nous
aurons tous été massacrés !
Un murmure parcourut l’assemblée : il disait la vérité.
Je levai les yeux vers Cicéron. Il hochait la tête, lui aussi.
— Trop de ceux qui siègent ici, déclara Caton d’une
voix de plus en plus forte, font plus cas de leurs villas et de leurs statues
que de leur pays. Par les dieux immortels, c’est à vous que je m’adresse !
Réveillez-vous pendant qu’il est encore temps et prenez en main la défense de
la république ! C’est notre liberté, notre vie qui sont en jeu ! Dans
les circonstances actuelles, on voudrait nous parler de mansuétude et de
miséricorde ?
Il s’avança entre les rangs, pieds nus, et se dressa dans l’allée
centrale, sa voix dure et impitoyable grinçant tel un couteau sur la meule. C’était
comme si son célèbre grand-père venait de sortir de la tombe et secouait
furieusement ses boucles grises en nous regardant.
— Ne croyez pas, citoyens, que ce soit par les armes
que nos ancêtres ont fait grandir la république, de petite qu’elle était. S’il
en était ainsi, c’est avec nous qu’elle serait au sommet de sa gloire car nous
avons beaucoup plus d’alliés et de citoyens, d’armes et de chevaux qu’eux. Non,
d’autres avantages ont fait leur grandeur, et ils n’existent plus chez nous. À l’intérieur
du pays, une activité acharnée, au-dehors une domination juste, et au sénat un
esprit libre dans les délibérations, sur lequel ne pesaient ni le remords ni
Weitere Kostenlose Bücher