Conspirata
notais la motion de César et la
tendais à Cicéron, j’entendais les chuchotements fébriles parcourir le sénat.
Le consul me prit les tablettes avec une expression inquiète sur le visage. Il
sentait que son ennemi avait réussi un coup plein d’adresse, mais ne pouvait en
prévoir toutes les implications ni ne savait comment réagir. Il lut la
proposition de César à voix haute et demanda si quelqu’un souhaitait émettre un
commentaire, ce que ne manqua pas de faire Silanus, consul désigné et roi des
cocus.
— Les paroles de César m’ont profondément ému,
déclara-t-il en se frottant onctueusement les mains, tellement ému en fait que
je ne voterai pas pour ma propre proposition. Je pense à présent moi aussi que
l’emprisonnement à perpétuité est une peine plus appropriée que la mort.
Cette déclaration suscita des exclamations étouffées suivies
par une sorte de bruissement dans les rangs indiquant que le vent de l’opinion
générale était en train de tourner. Si on leur donnait à choisir entre l’exil
et la mort, la majorité des sénateurs choisiraient la mort. Mais si on leur
proposait de choisir entre la mort et la prison à perpétuité, ils pouvaient
très bien revoir leur position. Et qui aurait pu le leur reprocher ? Cela
semblait être la solution parfaite : les conjurés recevraient un châtiment
exemplaire, et le sénat échapperait à l’anathème en évitant d’avoir du sang sur
les mains. Cicéron chercha anxieusement autour de lui des défenseurs de la
peine de mort, mais voilà que tous ceux qui prenaient la parole prônaient à
présent les mérites de l’emprisonnement à perpétuité. Hortensius soutint la
motion de César ; contre toute attente, Isauricus fit de même. Metellus
Nepos déclara qu’une exécution sans la possibilité de faire appel serait
illégale, et fit écho à la demande de Néron de rappeler Pompée. Après une ou
deux heures de ce son de cloche, quelques voix seulement s’élevant encore pour
réclamer la mort, Cicéron demanda une brève suspension pour permettre aux
sénateurs d’aller se soulager ou se rafraîchir. Pendant ce temps, il tint
rapidement conseil avec Quintus et moi. Le jour commençait déjà à décliner et
nous n’y pouvions rien – il était bien entendu formellement interdit
d’allumer le moindre feu ou la moindre lampe dans l’enceinte d’un temple. Je
compris soudain que le temps nous était compté.
— Alors ? demanda Cicéron à voix basse en s’avançant
sur son siège. Qu’est-ce que vous en pensez ?
— La motion de César va passer, répondit Quintus dans
un chuchotement, cela ne fait aucun doute. Même les patriciens se laissent
convaincre.
— Et s’empressent d’oublier leurs belles promesses… grogna
Cicéron.
— Ce ne peut qu’être bon pour toi, commentai-je avec
enthousiasme puisque je soutenais l’option du compromis. Ça te tire d’un
mauvais pas.
— Cette proposition est absurde ! siffla Cicéron
avec un regard peu amène en direction de César. Le sénat ne peut faire passer
de loi qui engage perpétuellement ses successeurs, et César le sait. Que se
passera-t-il, l’année prochaine, si un sénateur dépose une motion disant que ce
n’est pas de la trahison de militer pour la libération des prisonniers, et que
cette motion est votée par une assemblée publique ? César veut juste
maintenir un état de crise pour servir ses propres desseins.
— Mais alors, ce sera le problème de ton successeur,
répondis-je, pas le tien.
— Tu passeras pour un faible, avertit Quintus. Qu’en
retiendra l’Histoire ? Il faut que tu t’exprimes.
Les épaules de Cicéron s’affaissèrent. C’était exactement l’épreuve
qu’il redoutait. Je ne l’avais jamais vu plongé dans une indécision aussi
douloureuse.
— Tu as raison, conclut-il, bien que je ne puisse
imaginer d’issue qui ne soit pas désastreuse pour moi.
Ainsi, à la fin de la suspension, il annonça qu’il allait
malgré tout s’exprimer.
— Je vois, pères conscrits, que vous avez tous le
visage et les yeux tournés vers moi, aussi dirai-je ce qu’un consul doit dire.
Nous nous trouvons confrontés à deux propositions : celle de Silanus – bien
qu’il ne désire plus voter pour elle –, qui prône la mort pour les
conjurés ; celle de César, qui est en faveur de l’emprisonnement à vie – une
punition exemplaire pour un crime odieux. C’est, comme il le dit lui-même,
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