Conspirata
cinquième de la
république ! Notre César se figure qu’il est d’une grande noblesse alors
qu’en réalité, c’est un escroc de la pire vulgarité.
— Il risque d’y avoir des problèmes, l’avertis-je.
— Eh bien, qu’il y ait des problèmes. Ça ne me fait pas
peur.
Mais de toute évidence, il était mort de peur, et, à
nouveau, cette qualité que j’appréciais le plus chez lui reprit soudain le
dessus – sa détermination, quelles que fussent ses craintes et ses
réticences, à faire au bout du compte ce qu’il estimait juste. Dès cet instant
en effet, il avait dû comprendre que sa position à Rome allait devenir
intenable. Il réfléchit encore un long moment puis me confia :
— Pendant tout le temps que ce maquereau d’Hispanie me
parlait, je n’arrêtais pas de penser à ce que Calliope me dit dans mon poème
autobiographique. Tu te souviens de ses paroles ?
Il ferma les yeux et me les récita :
« Sois rival de toi-même et fidèle à ta
gloire ;
De tes illustres faits ne garde la mémoire,
Que pour les relever par un nouvel éclat,
Et que tes derniers ans passent ton consulat. »
— J’ai commis des erreurs, Tiron – tu les
connais mieux que personne, inutile de les relever –, mais je ne suis ni
comme Pompée, César ou Crassus. Quoi que j’aie fait, quelles que soient les
erreurs que j’ai commises, je l’ai fait pour mon pays alors qu’ils n’agissent
que par intérêt personnel, même si cela implique d’aider un traître comme
Catilina.
Il poussa un long soupir. Il paraissait presque surpris de
se trouver des principes si fermes.
— Eh bien, voici pour moi la fin de tout ceci, je
suppose : vieillesse tranquille, réconciliation avec mes ennemis, pouvoir,
richesse, paix avec tout le monde…
Il croisa les bras et contempla ses pieds.
— C’est renoncer à beaucoup de choses, commentai-je.
— Beaucoup de choses, oui. Tu devrais peut-être courir
après Balbus pour lui dire qu’en fin de compte, j’ai changé d’avis.
— Vraiment ?
Mon ton était plein d’espoir – j’aspirais
désespérément à une vie plus tranquille – mais Cicéron ne parut pas m’entendre.
Il poursuivit sa méditation sur le sens de l’Histoire et l’héroïsme et, au bout
d’un moment, je me remis à trier sa correspondance.
Je pensais que « la Bête à Trois têtes », comme on
allait surnommer le triumvirat de César, Pompée et Crassus, allait réitérer son
offre, mais Cicéron n’en entendit plus parler. La semaine suivante, César fut
élu consul et déposa rapidement son projet de loi agraire devant le sénat. J’observais
la scène depuis l’entrée avec une foule de spectateurs agités lorsqu’il
entreprit de demander aux sénateurs les plus importants leur opinion sur la
proposition de loi. Il commença par Pompée. Naturellement, le grand homme
approuva aussitôt et Crassus fit de même. Cicéron, appelé ensuite, émit de
nombreuses réserves mais donna, sous l’œil attentif de César, son assentiment.
Hortensius rejeta la loi. Lucullus rejeta la loi. Celer la rejeta aussi. Et
quand, suivant la liste du gratin du sénat, César finit par arriver à Caton,
celui-ci annonça son opposition. Mais au lieu de donner simplement son avis
puis de se rasseoir, Caton poursuivit sa dénonciation, remontant jusqu’à la
plus haute antiquité pour attester que les terres publiques devaient servir à
la nation tout entière et ne devaient en aucun cas être morcelées par des
politiciens de passage sans scrupule pour servir leurs propres intérêts. Au
bout d’une heure, il apparut clairement qu’il n’avait aucunement l’intention de
reprendre sa place et entendait, selon sa vieille habitude, parler jusqu’à la
clôture de la séance.
César s’énerva de plus en plus et frappa du pied avec
impatience. Il finit par se lever.
— Nous en avons assez entendu, dit-il, interrompant
Caton au milieu d’une phrase. Assieds-toi, espèce de moulin à paroles
moralisateur, et laisse les autres parler.
— Tout sénateur a le droit de parler autant qu’il le
désire, répliqua Caton. Tu devrais vérifier les lois de cette chambre si tu
entends la présider, ajouta-t-il avant de reprendre le fil de son discours.
— Assieds-toi ! hurla César.
— Je ne me laisserai pas intimider par toi, décréta
Caton, qui refusa de céder la parole.
Avez-vous déjà vu un rapace agiter la tête d’un côté puis de
l’autre
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