Conspirata
promis en échange
de sa voix. Licinius Lucullus aussi, d’ailleurs. N’oublie pas qu’ils peuvent
compter sur des centaines de vétérans. Si l’on en arrive vraiment à la guerre
civile – comme cela paraît vraisemblable –, ce sont eux qui
pourront venir rétablir l’ordre.
— Merci, Celer, répliqua Cicéron. Faire venir les
soldats dans Rome, voilà qui va certainement nous éviter une guerre civile.
Cette remarque se voulait sarcastique, mais je crois bien
que le sarcasme rebondit sur les Celer de ce monde comme une flèche d’enfant
sur une armure. Celer quitta le toit de Cicéron tout imbu de sa propre
importance. Je demandai à Cicéron s’il avait besoin de quelque chose.
— Oui, me répondit-il sombrement. D’un nouveau
discours. Laisse-moi un moment.
Je m’exécutai et descendis en essayant de ne pas penser à la
tâche que le consul devait à présent affronter : s’exprimer sans
préparation devant six cents sénateurs, au sujet d’un projet de loi compliqué
qu’il venait juste de découvrir et avec la certitude que tout ce qu’il pourrait
dire mettrait forcément l’une ou l’autre faction en fureur. Je sentais mon
ventre se liquéfier à cette seule idée.
La maison se remplissait rapidement, non seulement des
clients de Cicéron mais aussi des sympathisants qui arrivaient de la rue.
Cicéron avait ordonné que l’on ne comptât pas à la dépense pour son entrée en
charge et, dès que j’émettais une réserve concernant le coût de ces largesses,
il me répondait toujours avec un sourire :
— La Macédoine paiera.
Tous ceux qui se présentaient se voyaient donc offrir des
figues et du miel. Atticus, qui figurait parmi les dirigeants de l’ordre
équestre, avait amené avec lui un gros détachement des chevaliers partisans de
Cicéron ; du vin chaud aux épices leur fut servi dans le tablinum ,
ainsi qu’aux sénateurs les plus proches de Cicéron mobilisés par Quintus.
Servius ne se montrait toujours pas. Je réussis à faire savoir à Quintus et à
Atticus que le projet de loi du parti populaire avait été affiché, et qu’il
était mauvais.
Pendant ce temps, les flûtistes engagés profitaient
également des largesses de la maison, de même que les percussionnistes et les
danseurs, les représentants des quartiers et des sièges des tribus, et, bien
sûr, les fonctionnaires qui accompagneraient Cicéron tout au long de son
consulat : scribes, huissiers, copistes et crieurs du Trésor ainsi que
douze licteurs fournis par le sénat pour assurer la protection du consul. Il ne
manquait plus à la fête que son acteur principal, et plus le temps passait,
plus il m’était difficile d’expliquer son absence, car tout le monde avait
alors entendu parler de la loi et voulait savoir comment Cicéron projetait de
réagir. Je ne pouvais que répondre qu’il prenait encore les auspices et
descendait tout de suite. Terentia, parée de ses nouveaux bijoux, me glissa l’ordre
de prendre le contrôle de la situation avant que la maison ne soit entièrement
dépouillée, aussi recourus-je à la ruse : j’envoyai deux esclaves chercher
la chaise curule sur le toit avec pour instructions de dire à Cicéron que l’on
réclamait le symbole de son autorité pour conduire la procession – une
excuse qui avait le mérite d’être vraie.
Le stratagème fonctionna, et Cicéron descendit tout de suite – dépouillé,
à mon grand soulagement, de son bonnet en poils de lapin. Son apparition
suscita une gaieté volubile de la part de l’assemblée, que le vin chaud avait
déjà mise en joie. Cicéron me rendit les tablettes de cire sur lesquelles
figurait le texte du projet de loi, et me chuchota de les apporter à la
cérémonie. Puis il monta sur une chaise, salua la compagnie d’un grand geste
cordial et demanda aux officiers du Trésor de lever la main. Plus d’une
vingtaine de personnes s’exécutèrent. (Aussi étonnant que cela puisse paraître
aujourd’hui, c’était le nombre total des hommes qui, à l’époque, administraient
l’Empire romain depuis son centre.)
— Messieurs, commença-t-il en posant la main sur mon
épaule, je vous présente Tiron, qui est mon secrétaire personnel depuis bien
avant que je ne sois sénateur. Vous devrez considérer un ordre de lui comme un
ordre de moi, et toute affaire qu’il est bon de discuter avec moi comme
susceptible d’être abordée avec lui. Je préfère les rapports écrits aux
rapports verbaux.
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