Conspirata
Scipion Nasica, fils
adoptif de Pius ; Junius Silanus, qui était l’époux de Servilia, elle-même
femme la plus brillante de Rome ; et enfin, se tenant légèrement à l’écart
des autres et incongru dans ses habits de prêtre, je repérai la silhouette
mince et large d’épaules de Jules César, mais je me trouvais malheureusement
trop loin pour voir son expression.
Il y eut un long silence. La trompette retentit à nouveau.
Un gigantesque taureau beige portant des rubans rouges noués à ses cornes fut
amené à l’autel. Cicéron remonta les plis de sa toge sur sa tête puis, d’une
voix forte, récita de mémoire la prière cérémonielle. À peine eut-il terminé
que le serviteur posté derrière le taureau assena à la bête un tel coup de
marteau que le craquement retentit tout autour du portique. La créature s’effondra
sur le flanc, et la vision déconcertante de l’enfant mort surgit devant mes
yeux tandis que les serviteurs lui ouvraient le ventre. Avant même que le
malheureux animal ne fût complètement mort, ils déposèrent ses entrailles sur l’autel
afin qu’elles fussent inspectées. Il y eut un grondement dans l’assemblée, qui
interpréta les soubresauts du taureau comme un mauvais présage, mais quand les
haruspices présentèrent le foie à Cicéron pour qu’il l’examine, ils le
déclarèrent particulièrement favorable. Pius – qui était de toute façon
pratiquement aveugle – acquiesça faiblement d’un signe de tête, les
entrailles furent jetées dans le feu et la cérémonie fut terminée. La trompette
vagit une dernière fois dans l’air limpide et glacé, une salve d’applaudissements
parcourut l’enceinte, et Cicéron fut consul.
La première séance de l’année du sénat se tenait toujours
dans le temple de Jupiter, la chaise du consul placée sur une estrade, au pied
de la grande statue de bronze du Père des dieux. Aucun citoyen, aussi éminent
fût-il, n’avait le droit d’entrer au sénat, à moins qu’il n’en fût membre. Mais
comme j’avais été chargé par Cicéron de prendre en notes les débats – ce
serait une grande première –, je fus autorisé à rester près de lui pendant
la séance. Vous imaginez mes sentiments alors que je le suivais dans la grande
allée entre les bancs de bois. Les sénateurs en toge blanche entraient derrière
nous, se perdant en conjectures animées qui enflaient comme un grondement de
marée montante. Qui avait lu la loi du parti populaire ? Qu’allait dire
Cicéron ?
Lorsque le nouveau consul arriva sur l’estrade, je me
retournai pour regarder ces silhouettes que je connaissais si bien prendre leur
place. À la droite de la chaise consulaire se rangeait la faction patricienne – Catulus,
Isauricus, Hortensius et le reste –, tandis qu’à sa gauche allaient s’asseoir
ceux qui soutenaient la cause populiste, notamment César et Crassus. Je
cherchai Rullus, dont le nom figurait au bas du projet de loi, et le repérai
avec les autres tribuns. Jusque-là, il n’avait été qu’un de ces jeunes gens
riches et élégants, mais il arborait à présent des vêtements de pauvre et se
faisait pousser la barbe pour afficher ses sympathies pour le parti populaire.
Un peu plus loin, je vis Catilina se jeter sur l’un des premiers bancs réservés
aux prétoriens, ses bras puissants écartés et ses jambes étendues devant lui.
Son visage exprimait de sombres pensées. Il se disait manifestement que, s’il n’y
avait pas eu Cicéron, c’était lui qui aurait aujourd’hui occupé la chaise
curule. Ses acolytes prirent place derrière lui – des personnages
comme Curius, qui avait tout perdu au jeu, ou l’incroyablement gros Cassius
Longinius, qui occupait deux places à lui tout seul.
J’étais tellement concentré à noter qui était là et comment
ils se comportaient que je perdis brièvement Cicéron de vue. Lorsque je me
retournai de nouveau, il avait disparu. Je m’affolai soudain en songeant qu’il
avait pu prendre peur et s’enfuir. Je passai derrière l’estrade et le trouvai,
hors de vue, derrière la statue de Jupiter et plongé dans une intense
discussion avec Hybrida. Il plongeait son regard dans les yeux pochés et
injectés de sang de son collègue, la main droite posée sur son épaule, la
gauche soulignant avec énergie son propos. Pour toute réponse, Hybrida hochait
lentement la tête, comme s’il comprenait confusément quelque chose. Puis un
sourire finit par
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