Conspirata
chemin dans l’obscurité, et le sol enneigé était
semé d’embûches. Mais dès que nous arrivâmes au forum, j’aperçus des lumières
qui brillaient devant nous, et nous nous dirigeâmes vers elles. Celer avait
raison. On avait fixé un placard à l’endroit prévu, devant le temple de
Saturne. Malgré l’heure et le froid, l’intérêt du public était tel qu’il y
avait déjà plus d’une vingtaine de citoyens rassemblés pour lire le texte.
Celui-ci était long, plusieurs milliers de mots disposés sur six panneaux, et
portait le nom du tribun Rullus, bien que tout le monde sût que ses auteurs
étaient en réalité César et Crassus. Je plaçai Sositheus sur le début, Laurea
sur la fin, et je pris le milieu.
Nous œuvrâmes rapidement, sans tenir compte des commentaires
des gens qui se plaignaient de ne plus rien voir. Lorsque nous eûmes tout
recopié, la nuit prenait tout juste fin, cédant la place au premier jour de la
nouvelle année. Il n’était nul besoin d’en étudier tous les détails pour savoir
que ce projet de loi allait poser beaucoup de problèmes à Cicéron. Les domaines
publics de Campanie devaient être saisis d’office et divisés en cinq mille
fermes qui seraient distribuées gratuitement. Un collège élu de dix membres
déciderait des attributions des terres et aurait tout pouvoir pour lever des
impôts à l’étranger ainsi que pour acheter et vendre autant de terres en Italie
qu’il le jugerait utile, sans avoir à en référer au sénat. Les patriciens
seraient furieux, et le moment choisi pour faire connaître le texte de cette
loi – quelques heures à peine avant le discours d’entrée en charge de
Cicéron – ne visait ostensiblement qu’à mettre le consul sur la
sellette.
Lorsque nous rentrâmes, Cicéron se trouvait toujours sur le
toit, assis pour la toute première fois de l’Histoire sur sa chaise curule en
ivoire. Il faisait affreusement froid là-haut, la neige s’accrochait encore aux
tuiles et au parapet. Cicéron était emmitouflé dans un pan d’étoffe qui lui
remontait presque au menton, et il était coiffé d’un curieux bonnet à poils,
avec des rabats qui lui recouvraient les oreilles. Celer se tenait à côté,
entouré par les pularii . Il fendait le ciel avec son bâton, cherchant
avec lassitude la moindre trace d’oiseau ou d’éclair. Mais l’air était
parfaitement calme et limpide, et il n’arrivait visiblement à rien. Dès qu’il m’aperçut,
Cicéron saisit les tablettes de ses mains gantées de mitaines et se mit à les
parcourir rapidement. Les petits cadres de bois reliés entre eux par des
charnières cliquetèrent, clic, clic, clic tandis qu’il assimilait chaque
page.
— C’est le projet de loi du parti populaire ? s’enquit
Celer qui, alerté par le bruit, se retourna brusquement.
— Oui, répondit Cicéron en déchiffrant le texte avec
une grande rapidité, et ils n’auraient pu concevoir un projet plus susceptible
de déchirer la république !
— Faut-il que tu en parles dans ton discours d’entrée ?
demandai-je.
— Bien entendu. Pourquoi crois-tu qu’ils l’ont affiché
justement maintenant ?
— Aucun doute qu’ils ont choisi leur moment, commenta
Celer. Un nouveau consul. Son premier jour d’exercice. Aucune expérience
militaire. Pas de grande famille derrière lui. Ils te mettent à l’épreuve,
Cicéron.
Un cri retentit au bas de la rue. Je regardai par-dessus le
parapet. Une foule se formait pour accompagner Cicéron à la cérémonie de son
entrée en fonctions. De l’autre côté de la vallée, les temples du Capitole
commençaient à se découper nettement sur le ciel matinal.
— N’était-ce pas un éclair ? demanda Celer au
gardien des poulets sacrés le plus proche. Par Jupiter, je voudrais que c’en
soit un. Je me les gèle.
— Si tu as vu un éclair, augure, c’est qu’il a dû y en
avoir un, répondit le gardien des poulets.
— Très bien, alors, c’était un éclair, sur la gauche.
Écris-le, mon garçon. Félicitations, Cicéron – c’est un présage
favorable. Allons-y.
Mais Cicéron ne semblait pas avoir entendu. Il était assis,
immobile sur son siège, le regard rivé droit devant lui. Celer lui posa la main
sur l’épaule au passage.
— Au fait, mon cousin, Quintus Metellus, m’a prié de te
transmettre son meilleur souvenir, et aussi de te rappeler qu’il attend
toujours à l’extérieur de la ville ce triomphe que tu lui as
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