Conspirata
ainsi
exposé était horrible à voir, évoquant une plaie à vif après une amputation. De
grandes pancartes avaient été clouées dessus, sur lesquelles on pouvait lire :
« P. CLODIUS PROMET DE DISTRIBUER DU BLÉ AU PEUPLE ». Une
deuxième pancarte proclamait : « MORT AUX ENNEMIS DU PEUPLE ROMAIN ».
Une troisième affichait : « PAIN ET LIBERTÉ ». Il y avait d’autres
affiches plus détaillées accrochées à hauteur d’homme et qui ressemblaient de
loin à des projets de loi. Une quarantaine de citoyens s’amassaient devant pour
les lire. Au-dessus de leur tête, sur le parvis du temple, une rangée d’hommes
se tenaient immobiles, tels les personnages d’une frise. Nous nous rapprochâmes
et je reconnus plusieurs lieutenants de Clodius – Clœlius, Patina,
Scaton, Pola Servius : beaucoup des vauriens qui avaient soutenu Catilina
en son temps. Un peu plus loin, je repérai Marc Antoine et Caelius Rufus, puis
Clodius lui-même.
— C’est monstrueux, commenta Cicéron en secouant la
tête avec emportement. C’est un sacrilège, une honte…
Je pris soudain conscience que si nous pouvions voir les
coupables de cette abomination, ils pouvaient certainement nous voir aussi. Je
touchai le bras de Cicéron.
— Pourquoi n’attendrais-tu pas ici, sénateur, que j’aille
voir ce qu’il y a sur ces pancartes ? suggérai-je. Il ne serait peut-être
pas très sage que tu t’approches. Ils n’ont pas l’air commodes.
Je me frayai rapidement un chemin jusqu’au mur sous le
regard de Clodius et de ses acolytes. De chaque côté, il y avait des hommes aux
bras tatoués et cheveux coupés court qui s’appuyaient sur leur gros marteau et
me dévisageaient d’un œil vindicatif. Je parcourus rapidement les panneaux du
regard. Comme je l’avais deviné, il s’agissait de nouveaux projets de loi, deux
projets en fait. L’un touchait à l’allocation des provinces consulaires pour l’année
suivante et attribuait la Macédoine à Calpurnius Pison et la Syrie (me
semble-t-il me souvenir) à Aulus Gabinius. L’autre était très bref, pas plus d’une
ligne : « Il sera considéré comme un crime capital de donner l’eau et
le feu à quiconque a mis à mort des citoyens romains sans procès équitable. »
Je fixai le texte d’un regard stupide, sans en saisir tout
de suite la signification. Qu’il fût tourné contre Cicéron ne laissait aucun
doute ; mais il ne le nommait pas. Il semblait davantage conçu pour
effrayer ses partisans que pour le menacer directement. Mais alors, comme si
mon cœur se retournait dans ma poitrine, je compris la ruse diabolique derrière
les mots, et sentis la bile me monter à la gorge au point que je dus faire
effort pour ravaler le fiel et ne pas vomir sur-le-champ. Je reculai loin du
mur comme si les mâchoires de Hadès venaient de s’ouvrir devant moi, et ne
cessai de trébucher en arrière, incapable de détacher mon regard des mots
inscrits, augmentant la distance entre eux et moi en espérant qu’ils allaient
disparaître. Je finis par lever les yeux et vis Clodius qui m’examinait, le
sourire aux lèvres, appréciant visiblement ce qu’il voyait, puis je fis demi-tour
et retournai au plus vite auprès de Cicéron.
Il vit tout de suite à mon expression que la situation était
mauvaise.
— Alors ? demanda-t-il anxieusement. Qu’est-ce que
c’est ?
— Clodius a sorti une loi concernant Catilina.
— Pour me viser ?
— Oui.
— Cela ne peut être aussi mauvais que ce qu’annonce ta
figure ! Mais au nom du ciel, qu’y est-il dit sur moi ?
— Ton nom n’est même pas mentionné.
— Mais de quoi s’agit-il, alors ?
— Selon cette loi, c’est un crime capital de donner l’eau
et le feu à quiconque a mis à mort des citoyens romains sans procès équitable.
Sa bouche s’ouvrit. Il avait toujours eu l’esprit plus vif
que moi et il comprit immédiatement toutes les implications possibles.
— Alors c’est tout ? Une seule ligne ?
— C’est tout, dis-je en baissant la tête. Je regrette
infiniment.
Cicéron me saisit le bras.
— Donc le crime sera en fait de m’aider à rester en vie ?
Ils ne m’accorderont même pas un procès ?
Soudain, son regard se porta par-dessus mon épaule, vers le
temple défiguré. Je me retournai et vis Clodius qui agitait le bras – un
geste lent et moqueur, comme s’il saluait quelqu’un qui partait sur un bateau
pour un très long voyage. En même
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