Conspirata
l’histoire
romaine, une distribution mensuelle gratuite de blé.
Je résumai chacune des lois et courus à la maison en
rapporter la substance à Cicéron. Il avait déroulé l’histoire secrète de son
consulat devant lui et s’apprêtait à travailler sur sa défense. Lorsque je lui
eus relaté ce que Clodius se proposait de faire, il s’adossa dans son siège,
profondément perplexe.
— Alors, pas un mot me concernant ?
— Aucun.
— Ne me dis pas qu’il a l’intention de me laisser
tranquille après toutes ses menaces !
— Peut-être qu’il n’est pas aussi sûr de lui qu’il le
prétend.
— Relis-moi ces textes.
J’obéis, et il écouta, yeux mi-clos, se concentrant sur
chaque mot.
— Tout cela est très populiste, fit-il observer lorsque
j’eus terminé. Du pain gratuit à vie. Des fêtes à tous les coins de rue. Pas
étonnant qu’il ait été élu avec une telle majorité.
Il réfléchit un instant.
— Tu sais ce qu’il attend de moi, Tiron ?
— Non.
— Il attend que je m’oppose à ses lois, pour le simple
fait que c’est lui qui les a proposées. Il veut que je m’y oppose en réalité.
Comme ça, il pourra dire à tous : « Regardez Cicéron, l’ami des
riches ! Il pense que manger convenablement et s’amuser un peu est bon
pour les sénateurs, mais malheur aux pauvres qui réclament un peu de pain et la
possibilité de se détendre après une dure journée de travail ! » Tu
vois ? Il veut m’inciter à m’opposer à lui avant de me traîner devant la
plèbe sur le Champ de Mars pour m’accuser de me comporter en roi. Eh bien, il
peut toujours attendre. Je ne lui donnerai pas cette satisfaction. Je vais lui
montrer que je peux jouer au plus malin.
Je ne sais pas, si Cicéron s’y était employé, jusqu’où il
aurait pu faire capoter les lois de Clodius. Il avait un tribun docile, Ninnius
Quadratus, prêt à user de son veto pour son compte. Et les citoyens
respectables, tant au sénat que parmi les chevaliers, auraient été nombreux à
lui venir en aide. C’étaient des hommes qui pensaient que le blé distribué
gratuitement rendrait les pauvres dépendants de l’État et leur ferait perdre
tout sens moral. Il en coûterait au trésor cent millions de sesterces par an et
rendrait l’État lui-même dépendant de ses revenus de l’étranger. Ils estimaient
également que ces confréries de quartier favoriseraient les activités
immorales, et qu’il valait mieux laisser aux cultes religieux officiels le soin
d’organiser des activités de groupes. Sur ces questions, ils avaient peut-être
raison, mais Cicéron était plus souple. Il reconnaissait que les temps avaient
changé.
— Pompée a inondé cette république d’argent facile, me
dit-il, c’est cela qu’ils oublient. Une centaine de millions n’est rien pour
lui. Il faut donc que les pauvres aient leur part ou bien ils auront notre tête – et
avec Clodius, ils se sont trouvé un chef.
Cicéron décida donc de ne pas s’élever contre les lois
clodiennes, et pendant un bref et dernier instant – semblable à la
dernière lueur d’une chandelle crachotante –, il regagna un peu de son
ancienne popularité. Il demanda à Quadratus de ne rien faire, se refusa à
condamner le projet de Clodius et fut acclamé dans la rue quand il annonça qu’il
ne s’opposerait pas aux lois proposées. Le 1 er janvier, lorsque le
sénat se réunit sous la direction des deux nouveaux consuls, on lui accorda de
prendre la parole en troisième après Pompée et Crassus – ce qui était
une marque d’honneur. Et lorsque le consul en charge, Calpurnius Pison,
beau-père de César, le pria de donner son opinion, il profita de l’occasion
pour prononcer l’un de ses grands appels à l’unité et à la réconciliation.
— Je ne m’opposerai ni ne ferai obstruction ni ne
chercherai à contrecarrer les lois qui nous ont été présentées par notre
collègue Clodius, dit-il, et je prie pour que de ces temps difficiles puisse
naître une nouvelle concorde entre le sénat et le peuple.
Ces paroles furent accueillies par une grande ovation, et
lorsque ce fut à Clodius de répondre, il fit un discours tout aussi flatteur.
— Il n’y a pas si longtemps, Marcus Cicéron et moi-même
entretenions une relation des plus amicales, déclara-t-il, les yeux embués de
larmes d’une émotion sincère. Je crois que le mal qui nous a séparés était l’œuvre
d’une certaine personne
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