Conspirata
même, à une heure avancée, Metellus
Celer sortit de la cité avec un groupe d’esclaves et fit démonter, fracasser et
brûler la croix.
Voilà donc comment se présentait la situation au matin du
procès. Cicéron vérifiait une dernière fois son discours et s’habillait pour
descendre au Champ de Mars quand Quintus fit irruption dans sa chambre et le
pressa de renoncer à défendre Rabirius. Quintus argua que son frère avait déjà
fait tout ce qui était en son pouvoir et qu’une fois que Rabirius aurait été
jugé coupable, cela ne lui vaudrait qu’une perte de prestige. Et il pourrait
aussi se révéler dangereux de se retrouver confronté aux populistes en dehors
des murs de la cité. Je vis que Cicéron était sensible à ces arguments. L’une
des raisons, et non des moindres, qui faisaient que je l’aimais tant malgré ses
défauts était qu’il possédait la forme de courage la plus attirante : la
bravoure des craintifs. Au bout du compte, n’importe quelle tête brûlée peut
devenir un héros s’il n’accorde guère de prix à sa vie ni n’a assez d’esprit
pour évaluer le danger. En revanche, comprendre les risques, peut-être même
commencer par se dérober, puis rassembler toute sa force d’âme pour les
affronter – cela est de mon point de vue la plus louable des formes
de courage, et c’est celle dont Cicéron fit montre ce jour-là.
Labienus attendait déjà sur l’estrade quand nous arrivâmes au
Champ de Mars, avec son précieux buste de Saturninus comme accessoire de scène.
C’était un soldat ambitieux, un compatriote de Pompée, originaire lui aussi du
Picenum, et il affectait de copier le grand général en toute chose – sa
corpulence, sa démarche chaloupée, et même ses cheveux, qu’il coiffait en
arrière, en ondulations toutes pompéiennes. Lorsqu’il vit approcher Cicéron et
ses licteurs, il porta les doigts à sa bouche et émit un sifflet de dérision,
aussitôt repris par la foule qui devait bien atteindre dix mille personnes. C’était
un bruit intimidant, et il s’intensifia encore quand Hortensius apparut en
tenant Rabirius par la main. Le vieillard ne semblait pas tant effrayé qu’effaré
par le vacarme et la cohue qui se pressait pour l’entrevoir. Je fus poussé et
tiré, et dus lutter pour rester à côté de Cicéron. Je remarquai une rangée de
légionnaires, leurs casques et plastrons rutilant dans la lumière vive de
janvier, et derrière eux, installés dans une tribune sur une rangée de sièges
réservés aux spectateurs distingués, les commandants militaires, Quintus
Metellus, vainqueur de la Crète ; et Licinius Lucullus, prédécesseur de
Pompée en Orient. Cicéron m’adressa une grimace en les voyant, car il avait
promis, contre leur soutien aux élections, un triomphe aux deux généraux
aristocrates et ne s’était pour le moment occupé de rien.
— Il faut vraiment, me glissa Cicéron, que les choses
aillent mal pour que Lucullus abandonne son palais de la baie de Naples et se
mêle à la plèbe !
Il gravit l’échelle conduisant à l’estrade, suivi par
Hortensius et enfin Rabirius, qui eut tant de mal à monter les quelques
échelons que ses avocats durent se baisser pour le hisser jusqu’à eux. Tous
trois luisaient des crachats dont on les avait gratifiés. Hortensius semblait
particulièrement épouvanté car il ne s’était apparemment pas aperçu à quel
point le sénat était devenu impopulaire durant cet hiver rigoureux. Les
orateurs s’assirent sur leur banc, Rabirius coincé entre eux. Une trompette
sonna et, de l’autre côté du Tibre, le drapeau rouge fut hissé sur le Janicule
pour signaler que la ville ne risquait pas d’être prise d’assaut et que l’assemblée
pouvait commencer.
En tant que président du tribunal, Labienus contrôlait le
déroulement du procès tout en étant accusateur, et cela lui donnait un avantage
considérable. De nature plutôt audacieuse, il choisit de parler en premier et
ne tarda pas à lancer les pires accusations contre Rabirius, qui se tassait de
plus en plus sur son siège. Labienus ne prit même pas la peine de faire venir
des témoins à la barre. Il n’en avait pas besoin puisque les votes lui étaient
déjà acquis. Il termina sur une sévère péroraison portant sur l’arrogance du
sénat, la cupidité de la petite clique qui le contrôlait, et la nécessité de
donner à Rabirius un châtiment exemplaire pour que plus jamais à l’avenir
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