Conspirata
commenta Cicéron avec
un sourire. Je t’ai mieux formé que je ne croyais.
Après son départ, Cicéron me confia pensivement :
— Ce jeune homme va répéter à Catilina mot pour mot
tout ce que je viens de dire.
Une observation qui pouvait très bien tomber juste puisque,
à partir de ce jour, Rufus se tint à l’écart de Cicéron et fut souvent vu en
compagnie de Catilina. Il venait en vérité de rejoindre un groupe bien mal
assorti : des jeunes élégants pleins de fougue, comme Cornélius Cethegus,
qui rêvaient d’en découdre ; des nobles vieillissants et dissolus comme
Marcus Laeca et Autronius Paetus, dont les carrières publiques respectives
avaient été sapées par leurs vices privés ; d’anciens soldats rebelles
conduits par le fauteur de troubles Caius Manlius, qui avait été centurion sous
Sylla. Ils n’étaient réunis que par leur loyauté envers Catilina – qui
savait se montrer tout à fait charmant quand il n’essayait pas de vous tuer – et
par le désir de voir la situation s’effondrer à Rome. Par deux fois, alors que
Cicéron s’exprimait devant des assemblées publiques pour faire état de son
opposition à la proposition de loi rullienne, ils soulevèrent un véritable
vacarme de huées et de sifflets, et je fus soulagé qu’Atticus ait organisé sa
protection, surtout maintenant que l’affaire Rabirius commençait à s’enflammer.
La loi agraire de Rullus, le procès de Rabirius, la menace
de mort de Catilina – vous devez garder à l’esprit que Cicéron devait
s’occuper des trois à la fois tout en gérant les affaires générales de l’État.
Je trouve que les historiens ont trop tendance à négliger cet aspect de la
politique. Les problèmes ne font pas sagement la queue devant la porte des
hommes d’État pour attendre d’être réglés de façon ordonnée, un chapitre à la
fois, comme les livres voudraient nous le faire croire. En réalité, ils
affluent en masse et exigent tous une attention immédiate. Hortensius, par
exemple, vint discuter de la tactique à employer pour la défense de Rabirius
quelques heures à peine après que Cicéron se fut fait huer en réunion publique
sur la loi rullienne. Et ce surmenage ne fut pas sans conséquences. Comme
Cicéron avait beaucoup d’autres soucis en tête, Hortensius, qui était, lui,
parfaitement disponible, avait pris le contrôle effectif de l’affaire. Il s’installa
dans le bureau de Cicéron et, visiblement très satisfait, lui annonça que tout
était réglé.
— Réglé ? répéta Cicéron sur un ton étonné.
Comment ça ?
Hortensius sourit. Il avait, dit-il, employé une équipe de
scribes pour rassembler des preuves, et ils avaient déniché un détail
intriguant : un voyou nommé Scaeva, esclave du sénateur Q. Croton,
avait été affranchi juste après le meurtre de Saturninus. Les scribes avaient
approfondi leurs recherches dans les archives de l’État. D’après les documents
faisant état de la manumission de Scaeva, c’était lui qui avait assené le « coup
fatal » qui avait tué Saturninus, et le sénat avait récompensé cet « acte
patriotique » en lui accordant la liberté. Scaeva et Croton étaient morts
depuis longtemps, mais Catulus, une fois qu’on eut aidé un peu sa mémoire,
assura se souvenir assez bien de l’incident et fit une déclaration sous serment
comme quoi, alors que Saturninus gisait, inconscient, après avoir été lapidé,
il avait vu Scaeva descendre dans la curie pour l’achever d’un coup de couteau.
— Et cela, tu en seras d’accord, conclut Hortensius en
tendant à Cicéron la déclaration sous serment de Catulus, réduit à néant l’accusation
de Labienus contre notre client et, avec un peu de chance, mettra fin
rapidement à cette malheureuse affaire.
Il s’appuya contre le dossier de son siège et se rengorgea
avec un air d’intense satisfaction.
— Ne me dis pas que tu n’es pas d’accord ?
ajouta-t-il alors, en remarquant les sourcils froncés de Cicéron.
— En principe, bien entendu, tu as raison, Hortensius,
répondit Cicéron. Mais je me demande si cela nous aidera tant que ça en
pratique.
— Mais bien sûr ! s’exclama Hortensius d’un ton
moqueur. Labienus n’a plus d’accusation ! Même César devra le reconnaître.
Vraiment, Cicéron, ajouta-t-il avec un petit sourire et en remuant à peine un
doigt manucuré, je croirais presque que tu es jaloux.
Cicéron demeura dubitatif.
— Eh
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