Conspirata
convoques cette assemblée en te
présentant comme un populiste. Eh bien ! lequel de nous deux est l’ami du
peuple ? Est-ce toi qui veux que, dans l’assemblée même, on livre les
citoyens romains au bourreau ; toi qui demandes qu’au Champ de Mars, on
plante et on élève une croix pour le supplice des citoyens ? Ou moi, qui
défends de profaner l’assemblée publique par la présence funeste d’un bourreau ?
Le voilà, ce digne tribun, l’ami du peuple, le défenseur et le soutien des lois
et de la liberté publique !
Labienus fit mine d’écarter Cicéron d’un geste de la main,
comme s’il n’était qu’une libellule qu’il pouvait chasser, mais son mouvement
était empreint de mauvaise humeur : comme toutes les brutes, il s’y
entendait davantage pour infliger les blessures que pour en recevoir.
— Tu accuses Gaius Rabirius d’avoir tué Lucius
Saturninus, et déjà Quintus Hortensius, appuyé d’un grand nombre de
témoignages, a prouvé par sa défense magistrale la fausseté de cette
accusation. Mais s’il n’avait tenu qu’à moi, j’accepterais l’accusation, je
prendrais tout sur moi, j’avouerais tout !
Un grondement de colère parcourut l’assistance, néanmoins
Cicéron continua par-dessus les cris :
— Oui, oui, plût aux dieux que l’état de la cause me
permît de déclarer hautement que Saturninus, ennemi de la république, est mort
de la main de Gaius Rabirius !
Il désigna d’un mouvement théâtral le buste de Saturninus et
dut attendre un moment avant de reprendre tant était virulente l’hostilité
manifestée contre lui.
— Tu dis que ton oncle y était, Labienus. Soit, je veux
même qu’il n’y ait été contraint ni par l’état désespéré de ses affaires, ni
par quelques malheurs domestiques ; je veux que l’affection qui l’unissait
à Saturninus l’ait déterminé à sacrifier la patrie à l’amitié : mais
était-ce une raison pour Gaius Rabirius de trahir la république, de ne pas
obéir à la voix, à l’ordre des consuls ? Que ferais-je, Romains, si
Labienus, comme Saturninus, avait immolé des citoyens ; s’il avait brisé
la prison, s’il avait envahi le Capitole à la tête d’une troupe armée ? Je
vais vous le dire : je ferais ce que fit le consul d’alors, j’en
instruirais le sénat, je vous appellerais à la défense de la république, je
prendrais les armes avec vous pour résister à l’ennemi. Et que ferait Labienus ? Il me ferait crucifier !
Oui, ce fut une belle prestation, et j’espère que j’ai pu
rendre ici l’atmosphère de la scène : les orateurs sur l’estrade avec leur
client grincheux, les licteurs postés autour de l’estrade pour protéger le
consul, la foule grouillante des citoyens romains – plébéiens,
chevaliers et sénateurs rassemblés – les légionnaires portant casque
à plumet et leurs généraux drapés d’écarlate, les enclos montés pour accueillir
le vote ; le bruit général, les temples rutilants sur le lointain
Capitole, et le froid mordant de ce mois de janvier. Je cherchai César du
regard et crus à plusieurs reprises apercevoir son visage mince apparaître dans
la foule. Catilina se trouvait sûrement là avec sa clique, dont Rufus venu
vociférer sa part d’insultes à l’encontre de son ancien mentor.
Cicéron conclut, comme toujours, en posant la main sur l’épaule
de son client pour en appeler à la clémence de la cour – « Il ne vous
demande pas qu’on lui permette de vivre avec dignité, il veut seulement pouvoir
mourir sans honte » –, puis tout fut terminé et Labienus donna l’ordre
de commencer le vote.
Cicéron témoigna sa sympathie à un Hortensius très abattu
puis sauta au bas de l’estrade et s’approcha de l’endroit où je me tenais.
Comme souvent après un grand discours, il était encore enflammé et respirait
profondément, les yeux brillants, les narines palpitantes, pareil à un cheval
après une course éreintante. Il s’était montré particulièrement vibrant. Je me
souviens d’une phrase en particulier : « Si la nature a renfermé
notre vie dans des bornes étroites, elle n’en a pas mis à notre gloire. »
Malheureusement, les belles paroles ne remplacent pas les votes, et quand
Quintus nous rejoignit, il nous annonça sombrement que tout était perdu. Il
venait d’assister au dépouillement des premières tablettes – les
centuries votaient unanimement la condamnation de Rabirius, ce qui
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