Conspirata
regard. Bientôt, le bruit
courut que César avait l’intention de se présenter. Tous les citoyens
raisonnables furent consternés par la nouvelle, ou bien firent des
plaisanteries grivoises et rirent bien fort. Néanmoins, il y avait quelque
chose dans toute cette entreprise – un culot, tellement énorme qu’il
en devenait époustouflant, je suppose – que même ses ennemis ne
pouvaient s’empêcher d’admirer.
— Ce type est le joueur le plus phénoménal que j’aie
jamais rencontré, commenta Cicéron. Chaque fois qu’il perd, il double
simplement la mise et relance les dés. Je comprends maintenant pourquoi il a
laissé tomber la loi de Rullus et le procès de Rabirius. Il a vu que le grand
pontife ne se remettrait certainement pas, a calculé ses chances et a décidé
que le pontificat était une bien meilleure option que les deux autres.
Il secoua la tête avec émerveillement et entreprit de faire
ce qu’il pourrait pour s’assurer que cette troisième option tomberait elle
aussi à l’eau. Et c’est ce qui se serait passé s’il n’avait fallu compter avec
deux choses.
La première était l’incroyable stupidité de Catulus et d’Isauricus.
Pendant plusieurs semaines, Cicéron ne cessa d’aller de l’un à l’autre,
cherchant en vain à les convaincre de ne pas se présenter tous les deux, qu’en
concourant l’un contre l’autre ils diviseraient les votes anti-César. Or c’étaient
des vieillards fiers et irritables. Ils ne voulurent entendre parler ni de
céder en faveur l’un de l’autre, ni de tirer au sort, ni de s’accorder sur un
troisième candidat, et, au bout du compte, leurs deux noms restèrent sur la
liste.
L’autre facteur décisif fut l’argent. La rumeur courut à l’époque
que César avait arrosé les tribus de tant de pièces qu’il avait fallu les
transporter avec des brouettes. Où avait-il pu en trouver autant ? Tout le
monde disait que la source devait être Crassus. Mais même Crassus aurait sans
doute regimbé devant les vingt millions – vingt millions ! – que
César avait, selon la rumeur, distribués aux agents de corruption. Quelle que
fût la vérité, lorsque le scrutin eut lieu, aux Ides de mars, César devait
savoir qu’une défaite aurait signifié pour lui la ruine. Il n’aurait jamais pu
rembourser une telle somme si sa carrière avait été entravée. Il ne lui serait plus
resté que l’humiliation, la disgrâce, l’exil et peut-être même le suicide. C’est
pourquoi je suis plutôt enclin à croire l’anecdote célèbre selon laquelle, au
matin du vote, avant de quitter sa petite maison de Subura pour se rendre sur
le Champ de Mars, il embrassa sa mère en la prévenant que soit il reviendrait
en souverain pontife, soit il ne reviendrait jamais.
Le scrutin dura presque toute la journée et, suivant l’ironie
du sort qui est si souvent le lot en politique, il échut à Cicéron, de nouveau
magistrat en exercice puisqu’on était en mars, d’annoncer le résultat. Le
soleil tout juste printanier venait de sombrer derrière le Janicule, et le ciel
était strié de lignes horizontales écarlates, vermeilles et violacées,
évocatrices de sang traversant un pansement. Cicéron débita les résultats d’une
voix monocorde. Sur les dix-sept tribus chargées de voter, Isauricus en avait
remporté quatre, Catulus six, et César avait été soutenu par les sept
restantes. L’élection aurait difficilement pu être plus serrée. Tandis que
Cicéron descendait de l’estrade, visiblement écœuré, le vainqueur rejeta la
tête en arrière et leva les bras vers le ciel. Il paraissait presque ivre de
bonheur – et il pouvait l’être, car il savait qu’il serait désormais
souverain pontife à vie, avec une superbe demeure sur la via Sacra et une
participation aux conseils les plus privés de l’État. D’après moi, tout ce qui
arriva par la suite à César prit réellement naissance dans cette victoire
ahurissante. Cet investissement dément de vingt millions de sesterces se révéla
en fait la meilleure affaire de l’Histoire : il lui rapporterait le monde.
V
À partir de ce moment, on commença à regarder César
différemment. Si Isauricus accepta la défaite avec le stoïcisme d’un vieux
soldat, Catulus – qui voulait à tout prix le souverain pontificat
pour couronner sa carrière – ne se remit jamais totalement de ce
revers. Le lendemain, il dénonça son rival au sénat.
— Tu ne te caches
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