Conspirata
gardant un œil rivé sur la porte de César. Je vis sa mère
arriver en litière, puis son épouse, très jeune et très belle, partir par le
même moyen. Plusieurs personnes entrèrent et sortirent, mais je n’en reconnus
aucune. Au bout d’une heure, le bijoutier impatient annonça qu’il voulait
fermer et me poussa dans la rue au moment où le crâne chauve bien
reconnaissable de Crassus émergeait d’une petite voiture pour foncer chez
César. Je m’attardai encore un moment, mais comme personne d’autre ne fit son
apparition et que je ne voulais pas trop tenter le sort, je m’éloignai pour
rapporter à Cicéron ce que j’avais appris.
Il avait déjà quitté le sénat et je le trouvai chez lui, en
train de travailler à sa correspondance.
— Eh bien, cela éclaircit au moins un mystère, dit-il
lorsque je lui eus raconté ce que j’avais vu. Nous savons à présent d’où César
tenait les vingt millions qui ont acheté sa charge. Tout ne venait pas de
Crassus. Le Gardien de la Terre et de la Mer a dû en fournir une bonne partie.
Il se rejeta en arrière sur sa chaise et devint très songeur
dans la mesure où, comme il le fit remarquer par la suite : « Quand
le chef des armées, le principal bailleur de fonds et le grand pontife
commencent à se rencontrer, il est temps, pour les hommes honnêtes, de se tenir
sur leurs gardes. »
Ce fut vers cette époque que Terentia commença à jouer un
rôle important dans le consulat de Cicéron. On se demandait souvent pourquoi
Cicéron était toujours marié à elle au bout de quinze ans car elle était
excessivement pieuse, n’avait pas de très beaux traits et encore moins de
charme. Mais elle était dotée d’une qualité plus rare. Elle avait du caractère.
Elle forçait le respect et, de plus en plus, à mesure que les années passaient,
il cherchait conseil auprès d’elle. Elle ne s’intéressait guère à la philosophie
ou à la littérature, ne connaissait pas grand-chose à l’histoire et n’était, en
fait, pas très savante. Cependant, libre des entraves de l’éducation ou d’une
délicatesse naturelle, elle possédait le don fort rare de comprendre
intuitivement les choses, qu’il s’agît d’un problème ou d’une personne, et de
dire exactement ce qu’elle pensait.
Au début, pour ne pas l’inquiéter, Cicéron se garda de lui
parler du serment qu’avait fait Catilina de le tuer. Mais la perspicacité de
Terentia était telle qu’elle ne tarda pas à le découvrir toute seule. En tant
qu’épouse du consul, elle exerçait un contrôle sur le culte de la Bonne Déesse.
Je ne saurais vous dire ce que cela impliquait puisque tout ce qui touche à la
Déesse et à son temple infesté de serpents sur l’Aventin est interdit aux
hommes. Ce que je sais, c’est qu’un jour, l’une des prêtresses, une patriote de
famille noble, vint voir Terentia en larmes pour l’avertir que la vie de
Cicéron était menacée et qu’il devait se tenir sur ses gardes. Elle refusa d’en
dire davantage.
Naturellement, Terentia ne put en rester là et, en recourant
à toute une combinaison de flatteries, cajoleries et menaces digne de son mari,
elle lui soutira peu à peu la vérité. Cela fait, elle contraignit ensuite la
malheureuse à la suivre chez elle pour répéter toute l’histoire au consul.
Je travaillais avec Cicéron dans son bureau quand Terentia
ouvrit la porte sans frapper ; elle ne frappait jamais. Étant à la fois
plus riche que Cicéron et de plus haute extraction, elle avait tendance à ne
pas montrer la déférence coutumière de la femme envers son époux. Elle se
contenta d’annoncer :
— Il y a quelqu’un que tu dois voir absolument.
— Pas maintenant, répliqua-t-il sans même lever les
yeux. Dis-lui de partir.
Mais Terentia ne se laissa pas impressionner.
— C’est…, dit-elle, nommant ici la dame dont je tairai
le nom, pas pour elle (elle est morte depuis longtemps) mais par égard pour ses
descendants.
— Et pourquoi faudrait-il que je la voie, elle ?
grommela Cicéron, qui jeta cette fois un regard irrité à sa femme.
Il remarqua alors la mine sinistre de Terentia, et changea
aussitôt de ton.
— Que se passe-t-il, femme ? Qu’est-ce qui ne va
pas ?
— Il faut que tu écoutes ça toi-même, dit-elle en s’effaçant
pour révéler une belle femme aux yeux rouges et gonflés d’avoir trop pleuré.
Je fis mine de partir, mais Terentia m’ordonna
catégoriquement de
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