Conspirata
s’agît d’une bande d’assassins et, lorsque à la tombée de la
nuit nous atteignîmes les abords des marais Pontins, j’avais vraiment les nerfs
en pelote. Nous fîmes halte pour la nuit à Très Tabernae, où les coassements
des grenouilles, la puanteur de l’eau stagnante et le bourdonnement incessant
des moustiques me privèrent du moindre repos.
Le lendemain matin, nous poursuivîmes notre voyage en barge.
Cicéron trônait à l’avant, les yeux clos, le visage levé vers le doux soleil
printanier. Après le vacarme de la route fréquentée, le silence du canal était
profond, le seul bruit étant le claquement régulier des sabots du cheval sur le
chemin de halage. Cela ne ressemblait guère à Cicéron de ne pas travailler. À
la halte suivante, un sac de dépêches officielles nous attendait, mais lorsque
je voulus le lui donner, il me repoussa d’un geste.
Il en fut de même quand nous arrivâmes à sa villa de Formia.
Il avait acheté cette propriété deux ans plus tôt – une belle maison
sur la côte, face à la mer Méditerranée, pourvue d’une grande terrasse sur
laquelle il écrivait le plus souvent ou répétait ses discours. Cependant,
pendant toute la première semaine de notre séjour, il ne fit guère autre chose
que jouer avec les enfants, les emmener pêcher le maquereau et compter les
vagues sur la petite plage au pied du muret de pierre. Étant donné la gravité
de ses problèmes, je fus à l’époque déconcerté par son comportement. Bien sûr,
je me rends compte à présent qu’en fait il travaillait, mais à la façon dont
travaillent les poètes : il faisait le vide dans son esprit, en quête d’inspiration.
Au début de la deuxième semaine, Servius Sulpicius vint
dîner, accompagné de Postumia. Le vieux juriste possédait une villa de l’autre
côté de la baie, à Caieta. Il n’avait pratiquement pas reparlé à Cicéron depuis
la découverte de la liaison de sa femme avec César, mais il se montra
exceptionnellement enjoué cette fois-là, tandis que son épouse affichait une
figure anormalement morose. La raison de leurs humeurs opposées nous fut
révélée juste avant le dîner, lorsqu’il attira Cicéron de côté pour lui dire un
mot en privé. Arrivant tout juste de Rome, il voulait lui faire part d’une
rumeur des plus réjouissantes. Il avait peine à contenir sa jubilation. César
venait de prendre une nouvelle maîtresse : Servilia, l’épouse de Junius
Silanus !
— Donc, César aurait une nouvelle maîtresse ?
rétorqua Cicéron avec un haussement d’épaules. Autant me dire que les arbres
ont de nouvelles feuilles.
— Ne comprends-tu pas ce que ça implique ? Non
seulement cela met fin à toutes ces rumeurs infondées concernant Postumia et
César, mais cela compliquera également les choses pour Silanus s’il veut me
battre à l’élection consulaire de cet été.
— Et qu’est-ce qui te fait penser ça ?
— N’est-ce pas évident ? César manipule une grosse
partie des votes populistes. Il y a peu de chance qu’il les mobilise derrière
le mari de sa maîtresse, si ? Une partie de ces votes pourrait bien me
revenir. Ainsi, avec l’approbation des patriciens et avec ton soutien, je crois
vraiment que le plus dur est fait.
— Eh bien, je te félicite, et je serai fier de te
proclamer vainqueur d’ici trois mois. Est-ce qu’on sait combien de candidats
vont effectivement se présenter ?
— Il y en aura au moins quatre.
— Toi et Silanus. Qui d’autre ?
— Catilina.
Le visage de Cicéron ne laissa rien transparaître.
— Alors, Catilina se présente ?
— Oh oui ! Aucun doute là-dessus. César a fait
savoir qu’il le soutiendrait à nouveau.
— Et le quatrième ?
— Licinius Murena, répondit Servius, nommant un ancien
légat de Lucullus qui était à présent gouverneur de Gaule transalpine. Mais il
ressemble trop à un soldat pour être vraiment suivi en ville.
Ils dînèrent ce soir-là sous les étoiles. J’entendais de ma
chambre les soupirs de la mer contre les rochers et, de temps à autre, les voix
des quatre convives portées par le doux air salin avec le parfum entêtant de
leur poisson grillé. Au matin, très tôt, ce fut Cicéron lui-même qui vint me
réveiller. J’eus la surprise de le trouver assis au pied de mon étroit matelas,
toujours vêtu des habits qu’il portait la veille au soir. Il faisait à peine
jour. Cicéron ne semblait pas avoir dormi du
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