Conspirata
légionnaires qui gardait sa maison et les licteurs étendus à l’ombre des
platanes rappelaient qu’il avait été proclamé imperator sur le champ de
bataille et disposait encore de l’ imperium militaire. Il insista pour
que Cicéron dîne en sa compagnie et passe la nuit à la villa, et pour qu’il
prenne un bain et se repose auparavant. Sa politesse exquise, ou sa froideur,
était telle qu’il n’exprima pas la moindre curiosité quant au motif de la venue
impromptue de Cicéron.
Des laquais emmenèrent le consul et son escorte. Je
supposais que je serais consigné dans le quartier des esclaves, mais il n’en
fut rien : en tant que secrétaire particulier du consul, j’eus droit moi
aussi à une chambre d’invité, on m’apporta des vêtements propres et il m’arriva
quelque chose d’ahurissant dont le souvenir me fait rougir aujourd’hui encore
mais que l’honnêteté m’oblige à consigner dans ce récit. Une jeune esclave
apparut. Elle était grecque, aussi pus-je converser avec elle dans sa langue.
Elle avait une vingtaine d’années, beaucoup de charme et une robe à manches
courtes – mince, la peau mate, coiffée d’une masse de cheveux noirs
rassemblés en chignon qui n’attendait que de retomber comme un rideau. Elle s’appelait
Agathe. Avec force gloussements et des gestes insistants, elle me persuada de
me dévêtir et de pénétrer dans une petite cabine dépourvue de fenêtre qui était
entièrement tapissée de mosaïques figurant des créatures marines. Je restai là
un instant, me sentant assez stupide, jusqu’au moment où, tout à coup, le
plafond parut s’effacer pour déverser une pluie claire et tiède.
C’était la première fois que j’expérimentais l’un des
célèbres bains douches de Sergius Orata, et je m’y abandonnai avec délice
pendant un long moment avant qu’Agathe ne revienne me conduire dans la pièce
voisine, où je fus récuré et massé – et oh, quel plaisir ce fut là !
Le sourire de la jeune fille révéla des dents d’une blancheur d’ivoire et une
langue rose et espiègle. Lorsque, une bonne heure plus tard, je retrouvai
Cicéron sur la terrasse, je lui demandai s’il avait essayé l’une de ces douches
extraordinaires.
— Certainement pas ! répondit-il. La mienne s’accompagnait
des services d’une jeune prostituée. Jamais je n’ai vu pareille décadence.
Puis il m’examina et dit avec incrédulité :
— Ne me dis pas que tu as essayé !
Je rougis violemment et il éclata d’un rire tonitruant. Au
cours des années qui suivirent, il me reparla des bains douches de Lucullus
chaque fois qu’il voulait me taquiner.
Avant le dîner, notre hôte nous fit faire le tour de son
palais. La partie principale de la maison datait d’un siècle et avait été
construite par Cornélius, le père des frères Gracques, mais Lucullus l’avait
triplée de volume, y ajoutant des ailes entières, des terrasses et une piscine – le
tout taillé dans le roc le plus solide. La vue était de tous côtés époustouflante
et les chambres somptueuses. On nous entraîna dans un couloir bordé de torches
qui projetaient leur lumière sur une mosaïque représentant Thésée dans le
labyrinthe. Des marches nous menèrent à la mer puis sur une plate-forme
installée juste au-dessus du clapotis des vagues. C’était là que se trouvait la
grande fierté de Lucullus : toute une série de bassins artificiels peuplés
de toutes les espèces de poissons possibles, y compris d’énormes murènes parées
de bijoux et qui venaient vers lui quand il les appelait. Il s’agenouilla, et
un esclave lui tendit un seau en argent rempli de nourriture qu’il renversa
doucement dans l’eau. Aussitôt, la surface bouillonna, laissant apparaître des
corps écailleux et puissants.
— Elles ont toutes un nom, fit-il remarquer, puis il
désigna une créature particulièrement grasse et repoussante dont les nageoires
s’ornaient d’anneaux d’or. J’ai appelé celle-ci Pompée.
Cicéron rit poliment.
— Et à qui appartient cette propriété ?
demanda-t-il en désignant d’un signe de tête une autre villa gigantesque
équipée de viviers.
— C’est la villa d’Hortensius, répondit Lucullus. Il
croit qu’il peut élever de meilleurs poissons que les miens, mais il n’y
arrivera jamais. Bonne nuit, Pompée, lança-t-il à la murène d’une voix
caressante. Dors bien.
Je pensais que nous avions tout vu, mais Lucullus
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