Conspirata
son plan auprès de César et de
Catilina en se rendant ouvertement chez le jeune homme. Il résolut de le
joindre par l’intermédiaire de son beau-frère, l’ augure Metellus Celer,
ce qui nous valut une rencontre mémorable.
Celer habitait le mont Palatin, près de la maison de
Catulus, dans le Clivus Victoriae, belle rue résidentielle surplombant le forum.
Cicéron se dit que nul ne trouverait étrange de voir un consul rendre visite à
un préteur. Mais une fois entrés dans la maison, nous apprîmes que le maître
des lieux était parti chasser toute la journée. Seule sa femme était présente,
et c’est elle qui vint nous accueillir, accompagnée de plusieurs servantes. C’était,
pour autant que je sache, la première fois que Cicéron rencontrait Clodia, et
sa beauté comme son intelligence produisirent sur lui une forte impression. À
un peu plus de trente ans, elle était célèbre pour ses grands yeux sombres
ourlés de longs cils – « la déesse aux yeux de vache », la
surnomma par la suite Cicéron – dont elle usait et abusait pour jeter
aux hommes de langoureuses œillades ou les dévisager d’un regard captivant.
Elle avait une bouche expressive et une voix caressante, parfaite pour propager
les rumeurs. Comme son frère, elle affectait un accent « populaire »
très en vogue. Mais gare à celui qui cherchait à se montrer trop familier avec
elle – elle était capable de redevenir instantanément une claudienne
pur jus : hautaine, impitoyable, cruelle. Un débauché du nom de Vettius,
qui avait tenté en vain de la séduire, fit courir un assez bon mot à son sujet – in
triclinio Coa, in cubiculo nola (« Dans la salle à manger c’est l’île
Cos [2] ,
dans la chambre à coucher, la forteresse de Nola ») –, ce qui lui
valut d’être sauvagement rossé puis sodomisé par deux autres admirateurs de
Clodia, M. Camurtius et M. Caesernius, qui le laissèrent presque pour mort.
On aurait pu penser que tout cela appartenait à un monde
totalement étranger à Cicéron, et pourtant, une part de lui-même – un
quart, dirons-nous – était irrésistiblement attirée par le scandale
et la canaille alors que les trois quarts restants tempêtaient au sénat contre
toute débauche. Peut-être était-ce dû à son goût pour le théâtre : il
avait toujours apprécié la compagnie des comédiens. Et puis il aimait les gens
intelligents, et nul ne pourrait prétendre que Clodia ne l’était pas. Quoi qu’il
en soit, ils semblèrent tous deux ravis de cette rencontre, et quand Clodia, le
gratifiant d’une de ses œillades enjôleuses, lui demanda d’une voix voilée s’il
y avait quoi que ce soit – n’importe quoi – qu’elle puisse
faire pour lui en l’absence de son mari, il lui répondit que oui : il aimerait
pouvoir s’entretenir en particulier avec son frère.
— Appius ou Gaius ? demanda-t-elle en supposant qu’il
pensait à l’un de ses deux frères aînés, aussi sévères, sinistres et ambitieux
l’un que l’autre.
— Ni l’un ni l’autre, répliqua Cicéron. Je voudrais
parler à Publius.
— Publius ! s’écria-t-elle, ravie. Tu as choisi
mon préféré !
Elle envoya un esclave le chercher sur-le-champ, sans nul doute
dans une salle de jeux ou un lupanar où il avait ses habitudes, et, en
attendant son arrivée, Cicéron et elle firent le tour de l’ atrium et
examinèrent les masques mortuaires des ancêtres consulaires de Celer. Je me
retirai discrètement dans l’ombre pour ne pas entendre ce qu’ils disaient, mais
je perçus leurs rires, et je compris que la source de leur amusement n’était
autre que les visages de cire figés de ces générations successives de Metelli – qui
étaient, il faut bien l’admettre, célèbres pour leur stupidité. Puis Clodius
finit par arriver, salua le consul d’une courbette appuyée et (trouvai-je)
ironique, embrassa amoureusement sa sœur sur la bouche et garda ensuite le bras
autour de sa taille. Il venait de passer plus d’une année en Gaule mais n’avait
guère changé. Il était toujours aussi joli qu’une femme avec ses épaisses
boucles blondes, ses vêtements amples et sa façon pleine de condescendance de
regarder le monde de haut. Aujourd’hui encore, je ne saurais dire si Clodia et
lui étaient amants ou s’ils s’amusaient simplement à choquer la bonne société.
Mais j’appris par la suite que Clodius se comportait ainsi en public avec ses
trois
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