Conspirata
se garda bien de
répondre et contempla simplement la baie en sirotant son vin. Le silence s’éternisa.
La lune traçait sur l’eau un sentier d’argent miroitant. Finalement, d’une voix
chargée de colère contenue, Lucullus déclara que Murena ferait sans doute un
consul convenable s’il acceptait d’être conseillé, sur quoi Cicéron promit de
présenter la question du triomphe devant le sénat dès la fin des vacances.
Comme les deux hommes n’avaient plus ni l’un ni l’autre
envie de discuter, nous nous retirâmes tous de bonne heure dans nos chambres.
Je n’avais pas regagné la mienne depuis longtemps quand j’entendis frapper
doucement à ma porte. J’ouvris et trouvai Agathe. Elle entra sans un mot. Je
supposai qu’elle était envoyée par l’intendant de Lucullus et lui dis qu’elle n’était
pas obligée, mais elle prit place sur mon lit et m’assura qu’elle venait de sa
propre initiative, alors je la rejoignis. Nous bavardâmes entre deux caresses,
et elle me parla un peu d’elle – comment ses parents, morts à
présent, avaient été ramenés d’Orient comme esclaves faisant partie du butin de
guerre de Lucullus, et les vagues souvenirs qu’elle avait de son village en
Grèce. Elle avait travaillé aux cuisines et s’occupait à présent des invités de
l’ imperator , mais, le moment venu, quand elle serait moins jolie, avec
un peu de chance elle retournerait aux cuisines ; sinon, ce serait les
champs, et une mort précoce. Elle racontait tout cela sans s’apitoyer sur
elle-même, comme on pourrait décrire l’existence d’un cheval ou d’un chien.
Caton se prétendait stoïque, me semble-t-il, mais je dirais que cette fille l’était
de fait, souriant à son destin quel qu’il fût et s’armant avec sa dignité
contre le désespoir.
Lorsque je me réveillai, à l’aube, elle était partie.
Est-ce que je te surprends, lecteur ? Je me rappelle m’être
surpris moi-même. Après toutes ces années de solitude, j’avais même cessé d’imaginer
de telles choses et me contentais de les laisser aux poètes : « Quelle
vie y a-t-il, quelle joie, sans Aphrodite d’or ? » Connaître les mots
était une chose ; jamais je ne me serais attendu à savoir ce qu’il y avait
derrière.
J’avais espéré que nous resterions au moins une nuit de
plus, mais Cicéron m’annonça dès le matin que nous partions le jour même. Son
plan impliquait le secret absolu, et plus longtemps il séjournerait à Misène,
plus il craignait que sa présence ne passe pas inaperçue. Aussi, après un bref
entretien avec Lucullus, nous repartîmes dans la voiture couverte. Alors que
nous descendions vers la route côtière, je contemplai la propriété derrière
nous. De nombreux esclaves travaillaient dans les jardins et œuvraient sous les
diverses parties de l’immense villa, la préparant pour une nouvelle journée de
perfection printanière. Cicéron regardait lui aussi par-dessus son épaule.
— Ils étalent leurs richesses, murmura-t-il, et après
ils s’étonnent d’être autant détestés. Et si Lucullus, qui n’a pas vraiment
réussi à vaincre Mithridate, est devenu aussi prodigieusement riche, tu
imagines la fortune colossale que Pompée doit avoir accumulée ?
Je n’arrivais pas à l’imaginer, et je n’en avais pas envie.
J’en étais malade. Jamais auparavant il ne m’était apparu aussi absurde d’accumuler
les trésors pour le simple plaisir de les accumuler qu’en cette chaude matinée
bleue, tandis que la demeure s’évanouissait derrière moi.
Maintenant qu’il avait fixé sa stratégie, Cicéron avait hâte
de la mettre en place et, pour cela, il nous fallait rentrer à Rome. Pour lui,
les vacances étaient terminées. Nous arrivâmes à la villa en bord de mer de
Formia à la tombée de la nuit et nous reposâmes quelques heures avant de
repartir à l’aube. Si Terentia fut irritée qu’il les délaisse, elle et les
enfants, elle n’en montra rien. Elle savait qu’il voyagerait plus vite sans
eux. Nous étions de retour à Rome pour les Ides d’avril, et Cicéron entreprit
aussitôt d’entrer discrètement en contact avec Murena. Le gouverneur était
encore dans sa province de Gaule transalpine, mais il avait envoyé son
lieutenant, Clodius, en avance pour commencer à mettre en place sa campagne
électorale. Cicéron hésitait sur ce qu’il convenait de faire, car il se méfiait
de Clodius et ne voulait pas risquer d’éventer
Weitere Kostenlose Bücher