Conspirata
sœurs, et certainement Lucullus avait-il cru aux rumeurs d’inceste qui
circulaient.
Quoi qu’il en soit, si Cicéron était choqué, il n’en montra
rien. S’excusant avec un sourire auprès de Clodia, il lui demanda s’il pourrait
s’entretenir un instant en privé avec son jeune frère.
— Très bien, mais je suis très jalouse, répliqua-t-elle
avec réticence.
Puis, après une dernière poignée de main prolongée et
quelque peu aguichante avec le consul, elle disparut à l’intérieur de la vaste
demeure, nous laissant seuls tous les trois. Cicéron et Clodius échangèrent
quelque plaisanteries sur la Gaule transalpine et les difficultés de la
traversée des Alpes, puis Cicéron se lança :
— Et maintenant, dis-moi, Clodius, est-il vrai que ton
chef, Murena, se présente au consulat ?
— Effectivement.
— C’est bien ce que j’avais entendu. Ça m’a étonné, je
dois l’avouer. Tu penses qu’il peut gagner ?
— Facilement. Il y a tant de manières possibles.
— Vraiment ? Cite-m’en une.
— La reconnaissance : les gens se souviennent
encore des jeux généreux qu’il a organisés avant d’être élu préteur.
— Avant qu’il n’ait été élu préteur ? Mon jeune
ami, mais c’était il y a trois ans ! En politique, trois ans, c’est de l’histoire
ancienne ! Crois-moi, Murena a été complètement oublié ici. Loin des yeux,
loin du cœur, telle est la loi à Rome, aussi je te pose à nouveau la question :
où penses-tu trouver les voix ?
— Je pense que la majorité des centuries le
soutiendront, répondit Clodius, toujours souriant.
— Pourquoi ? Les patriciens voteront pour Silanus
et Servius. Les populistes voteront pour Silanus et Catilina. Qui restera-t-il
pour voter en faveur de Murena ?
— Donne-nous du temps, consul. La campagne n’a même pas
encore commencé.
— La campagne a commencé dès la fin des dernières
élections. Vous auriez dû passer l’année à prospecter. Et qui va diriger cette
campagne miraculeuse ?
— Moi.
— Toi ?
Il y avait tant de dérision dans l’exclamation de Cicéron
que je cillai, et l’armure d’arrogance de Clodius parut même brièvement
fissurée.
— J’ai une certaine expérience, bredouilla-t-il.
— Quelle expérience ? Tu n’es même pas membre du
sénat.
Cette fois, Clodius s’emporta.
— Eh bien, va te faire voir ! Pourquoi avoir pris
la peine de venir si tu es tellement sûr que nous allons perdre ?
Il avait l’air tellement scandalisé que Cicéron éclata de
rire.
— Qui a parlé de perdre ? Est-ce que c’est ce que
j’ai dit ? Mon jeune ami, poursuivit-il en passant son bras sur les
épaules de Clodius, je connais deux ou trois choses sur la façon de gagner une
élection, et je peux te dire ceci : vous avez toutes les chances de gagner – à
partir du moment où vous faites exactement ce que je vous dis de faire. Mais il
faut se réveiller avant qu’il ne soit trop tard. C’est pour ça que je
voulais te voir.
Cela dit, il fit avec Clodius le tour de l’ atrium en
lui exposant son plan pendant que je suivais avec mon carnet ouvert pour
prendre en notes toutes ses directives.
VII
Cicéron n’informa que les sénateurs en qui il avait le plus
confiance de son projet de proposer un triomphe pour Lucullus – des
hommes comme son frère, Quintus ; l’ancien consul C. Pison ; les
préteurs Pomptinus et Flaccus ; des amis comme Gallus, Marcellinus et l’aîné
des Frugi ; ainsi que les chefs des patriciens, Hortensius, Catulus et
Isauricus. Ceux-ci mirent à leur tour d’autres sénateurs dans la confidence.
Tous durent jurer le secret, furent avertis du jour où ils devraient se rendre
à la chambre et eurent pour recommandation de rester ensemble quoi qu’il
arrive, jusqu’à la levée de la séance. Cicéron n’en parla pas à Hybrida.
Le jour dit, le sénat connut une affluence inhabituelle. Des
nobles très âgés qui n’étaient pas venus depuis des années se trouvaient là, et
je vis César pressentir le danger car il avait coutume de humer presque
littéralement l’air en ce genre de circonstances, inclinant légèrement la tête
en arrière tout en scrutant les alentours d’un air soupçonneux (c’est d’ailleurs
exactement ce qu’il fit quelques instants avant d’être assassiné). Mais Cicéron
avait tout organisé de main de maître. Une loi très fastidieuse visant à
réduire le droit des sénateurs à se
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