Conspirata
faire rembourser des voyages non officiels
dans les provinces était en cours d’adoption. C’est exactement le genre de
législation intéressée qui excite les pires raseurs en politique, et Cicéron en
avait aligné toute une rangée, promettant à chacun qu’il pourrait s’exprimer
aussi longtemps qu’il le voudrait. À l’instant où il lut l’ordre du jour,
certains sénateurs grognèrent et se levèrent pour partir et, au bout d’une
heure de discours de Q. Cornificius – orateur très ennuyeux dans
le meilleur des cas –, l’assistance se raréfiait considérablement.
Certains de nos alliés feignirent de partir, mais se contentèrent en fait de
flâner dans les rues autour du sénat. César lui-même finit par ne plus y tenir
et s’en alla en compagnie de Catilina.
Cicéron attendit encore un peu, puis se leva et annonça qu’il
venait de recevoir une nouvelle motion qu’il aimerait présenter à la chambre.
Il appela le frère de Lucullus, Marcus, à parler, lequel lut une lettre du
grand général demandant que le sénat lui accorde un triomphe avant les
élections consulaires. Cicéron déclara que Lucullus avait assez attendu sa
juste récompense et qu’il allait sur-le-champ soumettre la question au vote. À ce
moment-là, les patriciens qui flânaient à proximité avaient regagné leurs
places tandis que les bancs des populaires restaient pratiquement vides. Des
messagers coururent prévenir César. En attendant, tous ceux qui soutenaient le
triomphe de Lucullus se regroupèrent autour de son frère et, une fois les têtes
comptées, Cicéron annonça comme prévu que la motion était adoptée à 120 voix
contre 16, et déclara la séance levée. Il descendait l’allée d’un pas pressé,
précédé de ses licteurs, au moment où César et Catilina arrivaient à la porte.
Ils comprirent aussitôt qu’ils étaient tombés dans un piège et avaient manqué
quelque chose d’important, mais il leur faudrait bien une heure ou deux pour
déterminer exactement quoi. Pour l’instant, ils ne purent que s’écarter pour
laisser passer le consul et sa suite. Ce fut un moment jouissif et, ce soir-là,
Cicéron se plut à le raconter encore et encore au cours du dîner.
Les problèmes commencèrent le lendemain au sénat. Les bancs
des populares étaient, cette fois, remplis, et la chambre était agitée.
Crassus, Catilina et César avaient eu le temps de découvrir le stratagème de
Cicéron. Ils se levèrent l’un après l’autre pour réclamer un nouveau vote. Mais
Cicéron ne se laissa pas intimider. Il déclara que le quorum avait été atteint,
que Lucullus méritait son triomphe et que le peuple avait besoin d’un spectacle
pour reprendre courage : en ce qui le concernait, la question était close.
Catilina refusa cependant de s’asseoir et s’obstina à réclamer un nouveau vote.
Cicéron essaya calmement de revenir au projet de loi sur le remboursement des
dépenses. Comme le vacarme se poursuivait, je crus qu’il allait falloir
suspendre la séance. Néanmoins, Catilina n’avait pas encore renoncé à tout
espoir de prendre le pouvoir par le vote plutôt que par l’épée, et il admit que
le consul avait raison au moins sur un point : le peuple aimait les
triomphes, et ne comprendrait pas pourquoi on lui avait promis ce
divertissement un jour pour le lui retirer le lendemain. Au dernier moment, il
se laissa tomber lourdement sur son banc, faisant en direction de la chaise du
consul un geste à la fois dégoûté et colérique. La question était donc réglée :
Lucullus aurait son jour de gloire à Rome.
Ce soir-là, Servius vint voir Cicéron. Il déclina avec
brusquerie l’invitation à prendre un verre et voulut savoir si les rumeurs
étaient justifiées.
— Quelles rumeurs ? s’enquit innocemment Cicéron.
— Les rumeurs qui disent que tu m’as abandonné pour
soutenir Murena.
— Bien sûr qu’elles sont fausses. Je voterai pour toi,
et c’est ce que je déclarerai à quiconque me le demandera.
— Alors pourquoi as-tu fait en sorte de ruiner mes
chances en peuplant la ville d’anciens légionnaires de Murena à la veille du
scrutin ?
— La question de la date à laquelle Lucullus célébrera
son triomphe ne regarde que lui, répliqua Cicéron – réponse qui, tout
en étant juste du point de vue purement juridique, était d’autre part
parfaitement mensongère. Tu es sûr que tu ne veux pas boire quelque chose ?
Servius ne
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