Conspirata
qu’elle implique le
meurtre de votre premier consul.
L’assemblée en eut le souffle coupé.
— Afin de pouvoir examiner les preuves et en débattre,
je propose que le début des élections de demain soit repoussé jusqu’à ce que l’on
ait évalué convenablement la nature de cette menace. Y a-t-il des objections ?
Dans le brouhaha fébrile qui s’ensuivit, aucune voix ne se
fit entendre en particulier.
— En ce cas, reprit-il vivement, la séance est levée
jusqu’aux premières lueurs de l’aube.
Là-dessus, il descendit l’allée centrale, suivi par ses
licteurs.
Rome était à présent plongée dans la plus grande confusion.
Cicéron retourna directement chez lui et dépêcha immédiatement clercs et
messagers dans toute la ville. Chaque informateur potentiel serait interrogé
pour découvrir ce qu’avait dit Catilina. Je reçus l’ordre d’aller trouver
Curius chez lui, sur l’Aventin. Son portier commença par refuser de me laisser
entrer – le sénateur ne recevait personne, me dit-il – mais
je lui fis porter un message de la part de Cicéron et Curius finit par me
recevoir. Il était au bord de la crise de nerfs, déchiré entre sa crainte de
Catilina et sa peur d’être impliqué dans le meurtre d’un consul. Il refusa
catégoriquement de m’accompagner pour rencontrer Cicéron face à face, assurant
que ce serait trop dangereux. J’eus les plus grandes difficultés à le persuader
de me décrire la réunion chez Catilina. Tous les hommes de main de Catilina s’y
trouvaient, dit-il : dans les onze sénateurs en tout, en le comptant. Il y
avait aussi une demi-douzaine de chevaliers de l’ordre équestre – il
cita Nobilior, Statilius, Capito et Cornélius – ainsi que l’ancien
centurion Manlius et de nombreux mécontents de Rome et de toute l’Italie. La
scène avait quelque chose de très théâtral. La maison était entièrement vide – Catilina
était ruiné et la propriété hypothéquée – à l’exception d’un aigle d’argent
qui avait été l’emblème personnel du consul Marius quand il s’était battu
contre les patriciens. Quant aux propos de Catilina, d’après Curius, ils
donnaient à peu près cela (je les notai à mesure qu’il les citait) :
« Mes amis, depuis la chute des rois, Rome est dirigée
par une oligarchie puissante qui contrôle tout – toutes les charges
de l’État, le territoire, l’armée, les impôts et tributs versés par nos
provinces les plus lointaines. Quoi que nous fassions, le reste d’entre nous n’est
que de la racaille sans crédit, sans influence. Même ceux d’entre nous qui sont
de haute naissance doivent faire des courbettes devant des hommes dont ils se
feraient craindre dans un État convenablement dirigé. Vous savez de qui je veux
parler. Crédit, pouvoir, honneurs, argent, tout est à eux ou à leurs amis ;
ils ne nous laissent que les échecs, les dangers, les condamnations, la misère.
« Combien de temps encore, mes braves, le permettrez-vous ?
Une mort que notre courage rendra honorable n’est-elle pas préférable à une vie
misérable, sans pouvoir, que nous perdrons dans le déshonneur, après avoir
servi de jouet à la tyrannie d’autrui ? Mais rien n’est inéluctable. Nous
sommes jeunes, énergiques, alors que le temps et la richesse ont fait d’eux des
vieillards. Peut-on leur laisser édifier deux ou trois maisons à côté l’une de
l’autre, tandis que nous n’avons même pas un foyer bien à nous ? Ils achètent
des tableaux, des statues, des objets d’art et des mares à poissons quand nous
n’avons chez nous qu’indigence et dettes. Il ne nous reste qu’un présent
sinistre et un avenir encore plus sombre.
« Réveillez-vous donc ! Elle est là, juste devant
vous, cette liberté que vous avez toujours désirée, et avec elle, l’honneur, la
gloire et le butin de la victoire. Usez de moi comme commandant ou soldat et
souvenez-vous des richesses promises aux vainqueurs ! Voilà ce que je veux
faire pour vous si je deviens consul. Refusez d’être des esclaves ! Soyez
des maîtres ! Et montrons enfin au monde que nous sommes des hommes ! »
Telle fut en gros la teneur du discours de Catilina. Après l’avoir
prononcé, il s’était retiré dans une pièce à l’écart pour s’entretenir en privé
avec ses plus proches camarades, dont Curius. Là, une fois la porte résolument
fermée, il leur avait rappelé leur serment solennel et déclaré
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