Conspirata
là-bas… belle, courageuse, brisée…
sois digne de son amour et de sa mémoire, et agis maintenant comme tu sais qu’elle
l’aurait voulu.
Curius pleura ; et de fait, j’avais moi-même peine à
retenir mes larmes tant était pitoyable la vision évoquée par Cicéron ;
cela et la promesse de l’immunité l’emportèrent. Quand Curius se fut
suffisamment remis, il jura de prévenir Cicéron dès qu’il en apprendrait
davantage sur les projets de Catilina. La fragile source d’information que
Cicéron avait dans le camp ennemi demeura donc intacte.
Il n’eut pas à attendre longtemps.
Le lendemain était la veille des élections, et Cicéron
devait présider le sénat. Mais, par crainte d’une embuscade, il dut prendre un
itinéraire détourné en suivant l’Esquilin puis en prenant la via Sacra. Le
trajet fut deux fois plus long que d’habitude, et, le temps que nous arrivions,
c’était le milieu de l’après-midi. Sa chaise curule fut installée à l’entrée,
et il s’assit dans l’ombre, entouré de ses licteurs, pour lire son courrier en
attendant qu’on eût pris les auspices. Plusieurs sénateurs s’approchèrent pour
lui demander s’il savait ce que Catilina était censé avoir dit le matin même.
Il avait apparemment tenu conférence chez lui dans les termes les plus
virulents. Cicéron répondit qu’il n’en savait rien et m’envoya aux nouvelles.
Je fis le tour du senaculum et abordai un ou deux sénateurs avec qui j’entretenais
des rapports amicaux. Les rumeurs allaient bon train. Certains prétendaient que
Catilina avait lancé des appels au meurtre des Romains les plus riches, d’autres
qu’il avait exhorté à la révolte. Je pris quelques notes et m’apprêtais à
retourner auprès de Cicéron quand Curius passa tout près de moi et me glissa
une note dans la main. Il était blême de terreur.
— Donne ça au consul, murmura-t-il avant de disparaître
sans me laisser le temps de répondre.
Je regardai autour de moi. Une bonne centaine de sénateurs
étaient réunis là et discutaient par petits groupes. Pour autant que je le
sache, personne n’avait rien remarqué. Je me dépêchai de retourner auprès de
Cicéron pour lui remettre le message.
— C’est de Curius, chuchotai-je.
Il l’ouvrit, l’examina un instant, et son visage prit une
expression tendue. Il me montra le message. Il y était écrit : Tu seras
assassiné demain, pendant les élections . C’est à cet instant que les augures arrivèrent en déclarant que les auspices étaient propices.
— En êtes-vous sûrs ? demanda Cicéron d’une voix
sombre.
Ils lui certifièrent solennellement qu’ils en étaient
certains. Je le voyais étudier mentalement toutes les solutions. Il finit par
se lever et demanda aux licteurs de prendre sa chaise, puis il les suivit dans
l’ombre fraîche de la curie. Les sénateurs entrèrent à sa suite.
— Savons-nous exactement ce qu’a dit Catilina ce matin ?
demanda-t-il.
— Non, pas en détail, répondis-je.
Pendant que nous remontions l’allée, il me glissa à voix
basse :
— Je crains que cet avertissement ne soit pas sans
fondement. Si l’on y réfléchit, c’est le seul moment où ils peuvent savoir
exactement où je me trouverai – sur le Champ de Mars, en train de
présider le scrutin. Et avec les milliers de personnes qui seront sur place, il
serait très facile à une dizaine ou une vingtaine d’hommes armés de se frayer
un chemin jusqu’à moi et de m’abattre.
Nous étions arrivés à l’estrade et les bancs se
remplissaient. Il jeta un coup d’œil en arrière, scrutant les silhouettes
vêtues de blanc.
— Est-ce que Quintus est là ?
— Non, répondis-je. Il fait campagne.
De fait, de nombreux sénateurs étaient absents. Tous les
candidats au consulat et la plupart de ceux qui se présentaient au tribunat et
à la préture – dont Quintus et César – avaient choisi de
passer l’après-midi à rencontrer les électeurs plutôt que de suivre les
affaires de l’État. Seul Caton était à sa place, et lisait les comptes du
Trésor. Cicéron fit la grimace et serra le poing, broyant le message de Curius.
Il resta ainsi un moment, jusqu’à ce qu’il s’aperçoive que toute la chambre le
regardait. Il monta alors les marches de l’estrade pour regagner sa chaise.
— Sénateurs, commença-t-il, je viens d’être informé qu’une
grave conspiration contre la république se prépare, et
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