Conspirata
Catilina s’est
isolé avec quelques autres pour envisager, et ce n’était pas la première fois,
la meilleure façon de me supprimer. L’étendue de ce que je sais est telle,
pères conscrits, que j’ai décidé qu’il était de mon devoir de tout vous
exposer, afin que vous puissiez décider de la meilleure façon d’agir.
Il s’assit et, après un silence, quelqu’un lança :
— Réponds !
Puis d’autres reprirent l’injonction et, tel un javelot, la
lancèrent avec colère contre Catilina :
— Réponds ! Réponds !
Catilina haussa les épaules, arborant une sorte de demi-sourire,
et se leva. C’était un vrai colosse, et sa simple présence physique suffit à
imposer le silence à la chambre.
— À l’époque où les ancêtres de Cicéron baisaient
encore des chèvres, ou je ne sais à quoi ils s’amusaient dans les montagnes d’où
il vient…
Il fut interrompu par des rires, certains provenant, je dois
le dire, des bancs des patriciens autour de Catulus et d’Hortensius.
— À cette époque, poursuivit-il lorsque le brouhaha se
fut calmé, quand mes ancêtres étaient consuls et cette république plus jeune et
plus virile, nous étions dirigés par des combattants et non par des juristes.
Notre consul si informé ici présent m’accuse de sédition. Si c’est ainsi qu’il
choisit de l’appeler, soit, c’est de la sédition. Pour ma part, j’appellerai
cela la vérité. Quand je considère cette république, sénateurs, je vois deux
corps. L’un, dit-il en désignant les patriciens puis Cicéron, parfaitement
immobile sur sa chaise curule, a une tête, mais il est maigre et épuisé. L’autre,
ajouta-t-il en montrant la porte et le forum au-delà, n’a pas de tête, mais il
est très grand et robuste. Je sais quel corps je préfère, et il n’est pas
question qu’il aille sans tête tant que je vivrai !
En regardant aujourd’hui ces mots, il me paraît ahurissant
que Catilina n’ait pas été saisi et accusé de trahison sur-le-champ. Mais il
avait des soutiens puissants, et à peine eut-il repris sa place que Crassus s’était
levé. Ah oui, Marcus Licinius Crassus – je suis loin de lui avoir
consacré assez de place dans cette partie de mon récit ! Permettez-moi de
corriger cette lacune. Ce chasseur d’héritages de vieilles dames ; cet
usurier pratiquant des taux exorbitants ; ce propriétaire de taudis ;
ce spéculateur passé maître dans l’art de faire des réserves ; cet ancien
consul au crâne chauve et au cœur dur comme la pierre… ce Crassus était un
formidable orateur quand il décidait de consacrer son esprit rusé à l’éloquence,
ce qu’il fit en cette matinée de juillet.
— Pardonnez ma stupidité, chers collègues,
déclara-t-il, peut-être est-ce juste moi, mais j’ai eu beau écouter
attentivement, je n’ai pas encore entendu une seule preuve qui justifie de
retarder un tant soit peu les élections. À quoi se résume exactement cette
prétendue conspiration ? À un message anonyme ? Eh bien, le consul
pourrait l’avoir écrit lui-même, et ils sont nombreux ici à l’en croire
parfaitement capable ! On rapporte une diatribe ? Je n’ai rien
entendu de particulièrement choquant. En fait, elle m’a surtout rappelé le
genre de discours que pouvait prononcer l’homme nouveau radical qu’était Marcus
Tullius Cicéron avant qu’il ne s’associe à mes amis patriciens du banc d’en
face !
C’était tout à fait pertinent. Je n’osais pas me tourner
vers Cicéron et gardais les yeux fixés droit devant moi. Crassus saisit les
bords de sa toge entre ses pouces et ses index et écarta les coudes, à la
manière d’un provincial donnant son avis sur un mouton au marché.
— Les dieux savent, et vous savez tous – je
remercie la providence pour cela – que je ne suis pas pauvre. Je n’ai
rien à gagner à l’annulation des dettes, ce serait plutôt l’inverse. Mais je ne
pense pas qu’il convienne d’interdire à Catilina de se porter candidat, ni de
repousser ces élections ne serait-ce que d’une heure en se fondant uniquement
sur les maigres éléments que nous venons d’entendre. Je propose donc une motion : Que l’élection des deux consuls commence immédiatement et que cette séance
soit levée pour reprendre sur le Champ de Mars .
— Je soutiens cette motion ! clama César en se
levant d’un bond. Et je demande qu’elle soit soumise au vote tout de suite afin
de ne plus perdre
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