Conspirata
devant l’assemblée de ses pairs, le jeune sénateur
recouvra un peu de sa superbe. Il avança en affichant sa décontraction, et
quand le consul lui eut montré les lettres et demandé de reconnaître son
cachet, il prit son rouleau avec désinvolture.
— C’est le mien, je crois.
— Donne-le-moi.
— Si tu insistes, répliqua Cethegus en lui tendant la
lettre. Mais je dois avouer qu’on m’a toujours appris que cela ne se faisait
pas de lire le courrier d’autrui.
Cicéron ne lui prêta pas attention, ouvrit le pli et lut à
voix haute :
— « De Caius Cornélius Cethegus à Catugnatus,
chef des Allohroges – Salut à toi ! Par cette lettre, je te
donne ma parole que mes compagnons et moi tiendrons la promesse que nous avons
faite à tes députés, et que si ta nation se soulève contre ton oppresseur
inique à Rome, elle n’aura pas d’alliés plus loyaux que nous. »
En entendant cela, l’assemblée des sénateurs poussa un grand
cri d’outrage. Cicéron leva la main.
— Est-ce bien ton écriture ? demanda-t-il à
Cethegus.
Le jeune sénateur, visiblement décontenancé par l’accueil
qui lui était fait, marmonna quelque chose que je ne pus entendre.
— Est-ce ton écriture ? répéta Cicéron. Parle plus
fort !
Cethegus hésita, puis répondit à voix basse que oui.
— Eh bien, jeune homme, de toute évidence, nous n’avons
pas eu les mêmes maîtres car on m’a toujours appris que ce qui ne se fait pas,
ce n’est pas d’ouvrir le courrier d’autrui mais de fomenter une trahison avec
une puissance étrangère ! Et maintenant, poursuivit Cicéron en consultant
ses notes, chez toi, ce matin, nous avons découvert un arsenal d’une centaine
de glaives et d’autant de poignards. Qu’as-tu à dire pour ta défense ?
— Je suis collectionneur de bonnes lames… commença
Cethegus.
Peut-être essayait-il de faire de l’esprit ; si c’était
le cas, sa plaisanterie se révéla assez stupide, et ce fut aussi sa dernière.
Le reste de ses paroles se perdit dans les protestations virulentes qui s’élevèrent
de tous les coins du temple.
— Nous t’avons assez entendu, dit Cicéron. Tu as
toi-même reconnu ta culpabilité. Emmenez-le et faites venir le suivant.
Cethegus fut reconduit, nettement moins désinvolte qu’à son
arrivée, et l’on amena Statilius devant le consul. La procédure se répéta :
il reconnut son cachet, la lettre fut ouverte et lue à voix haute (les termes
étaient presque identiques à ceux utilisés par Cethegus), il reconnut que l’écriture
était bien la sienne mais, quand il fut sommé de s’expliquer, assura qu’il n’avait
pas écrit cela sérieusement.
— Tu n’as pas écrit cela sérieusement ? répéta
Cicéron, stupéfait. Tu invites une tribu étrangère à assassiner des hommes, des
femmes et des enfants romains pour rire ?
Statilius ne put que baisser la tête.
Vint ensuite le tour de Capito, avec le même résultat, puis
Caeparius fit une apparition échevelée. C’était lui qui avait tenté de fuir à l’aube,
mais il avait été capturé alors qu’il se rendait en Apulie avec des lettres
pour l’armée rebelle. Ses aveux furent les plus abjects de tous. Puis, enfin,
il ne resta plus qu’à interroger Lentulus Sura et ce fut pour tous un moment
des plus dramatiques, car il faut se souvenir que Sura était non seulement
prêteur urbain, et donc le troisième magistrat le plus puissant de l’État, mais
aussi ancien consul : personnage d’une cinquantaine d’années, de lignée et
d’apparence distinguées. Il arriva et jeta autour de lui des coups d’œil
suppliants aux collègues avec lesquels il avait siégé pendant un quart de
siècle au plus haut conseil de l’État, mais aucun ne voulut croiser son regard.
Avec la plus haute répugnance, il reconnut les deux dernières lettres, qui
portaient toutes deux son cachet. Celle destinée aux Gaulois était sensiblement
la même que les lettres déjà lues plus tôt. La seconde était adressée à
Catilina. Cicéron en brisa le sceau.
— « Celui que je t’envoie t’apprendra qui je
suis , lut-il. Tâche de te montrer homme, songe jusqu’à quel point tu es
engagé, et vois ce que la nécessité réclame encore. Prends soin de te faire des
auxiliaires partout, même dans les rangs les plus bas. »
Cicéron tendit la lettre à Sura.
— C’est bien ton écriture ?
— Oui, répondit Sura avec la plus grande dignité,
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