Conspirata
dans une histoire
absurde : Umbrenus lui aurait demandé d’escorter les Gaulois au loin et on
lui aurait remis au dernier moment des lettres à emporter, sans qu’il sût ce qu’elles
contenaient.
— Pourquoi dans ce cas avoir opposé une telle
résistance sur le pont ? demanda Pomptinus.
— J’ai cru que vous étiez des bandits de grand chemin.
— Des bandits de grand chemin en uniforme de l’armée ?
Commandés par des préteurs ?
— Emmenez-moi ce vaurien, ordonna Cicéron, et ne me le
ramenez que quand il sera prêt à dire la vérité.
Après le départ du prisonnier, Flaccus déclara :
— Il faut agir vite, avant que tout Rome ne soit au
courant.
— Tu as raison, convint Cicéron.
Il demanda à voir les lettres, et nous les examinâmes
ensemble. Il en est deux que je reconnus aisément comme venant du préteur urbain
Lentulus Sura : son cachet présentait un portrait de son grand-père, qui
avait été consul un siècle plus tôt. Nous étudiâmes les quatre autres à la
lumière des noms de notre liste et aboutîmes à la conclusion qu’elles devaient
être du jeune sénateur Cornélius Cethegus, et des trois chevaliers, Capito,
Statilius et Caeparius. Les préteurs nous regardaient avec impatience.
— Il y a sûrement un moyen plus simple de régler ça,
intervint Pomptinus. Pourquoi ne pas juste ouvrir les lettres ?
— Nous ne pouvons pas toucher aux preuves, répliqua
Cicéron tout en poursuivant son examen minutieux des rouleaux.
— Avec tout mon respect, consul, grommela Flaccus, nous
perdons du temps.
Bien sûr, je comprends à présent que l’intention de Cicéron
était précisément de perdre du temps. Il savait dans quelle position délicate
il se trouverait s’il devait décider du destin des conjurés, et il leur donnait
une dernière chance de fuir. La solution qui avait sa faveur était encore de
laisser l’armée se charger d’eux au combat. Il ne put cependant tergiverser
plus longtemps et finit par nous demander d’aller les chercher.
— Mais attention, je ne veux pas les faire arrêter,
avertit-il. Dites-leur simplement que le consul leur serait reconnaissant de
clarifier certaines questions et demandez-leur de venir me voir.
Les préteurs jugeaient visiblement qu’il avait perdu la
tête, mais ils obéirent aux ordres. On m’envoya accompagner Flaccus chez Sura
et Cethegus, qui habitaient sur le Palatin ; Pomptinus se mit en quête des
autres. Je me souviens de l’impression bizarre que je ressentis lorsque j’arrivai
dans la grande demeure ancestrale de Lentulus Sura, en découvrant que la vie
semblait y poursuivre un cours parfaitement normal. Il ne s’était pas enfui,
bien au contraire. Ses clients patientaient posément dans les salles d’attente.
Quand il apprit que nous étions à sa porte, il envoya son beau-fils, Marc
Antoine, nous demander ce que nous voulions. Antoine avait tout juste vingt
ans. Il était très grand et musclé, avec un petit bouc très en vogue à l’époque
et un visage encore couvert d’acné. C’était la première fois que je le voyais,
et je voudrais me rappeler plus précisément cette rencontre, mais je ne me
souviens malheureusement que de ses boutons. Il transmit aussitôt notre message
à son beau-père et revint pour nous informer que le préteur passerait voir le
consul dès qu’il aurait terminé sa réception du matin.
Ce fut la même chose chez Caius Cethegus, ce jeune homme
plein de fougue qui, comme son parent Sura, faisait partie de la gens Cornelia.
Les demandeurs faisaient la queue pour lui parler, mais il nous fit au moins l’honneur
de venir lui-même dans l’ atrium . Il examina Flaccus de haut en bas,
comme s’il s’agissait d’un chien égaré, écouta ce qu’il avait à dire et
répondit qu’il n’était pas dans ses habitudes d’accourir quand on le sifflait,
mais que par respect pour la fonction sinon pour l’homme, il passerait voir le
consul au plus tôt.
Nous retournâmes auprès de Cicéron, qui n’en revint
visiblement pas d’apprendre que les deux sénateurs se trouvaient toujours à
Rome.
— Mais par tous les dieux, à quoi pensent-ils donc ?
marmonna-t-il à mon intention.
En fait, un seul des cinq personnages concernés – Caeparius,
chevalier de Terracina – avait fui la ville. Les autres arrivèrent
séparément chez Cicéron plus ou moins dans l’heure qui suivit, tant était
grande leur certitude d’être intouchables. Je me demande
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