Conspirata
couteaux,
flambant neufs, présentaient une curieuse forme recourbée et d’étranges
symboles gravés sur le manche. Flaccus déclara qu’ils lui paraissaient de
facture étrangère. Je posai le pouce sur le fil d’une épée et le sentis aussi
tranchant qu’un rasoir. Je me dis alors avec un frisson qu’elle aurait pu
couper non seulement la gorge de Cicéron, mais aussi très probablement la
mienne.
Lorsque j’eus terminé d’examiner les caisses et fus rentré
chez Cicéron, il était temps de partir au sénat. Les pièces du rez-de-chaussée
étaient décorées de fleurs odorantes et l’on apportait de l’extérieur de
nombreuses amphores de vin. De toute évidence, quels que fussent les autres
mystères impliqués, la cérémonie dédiée à la Bonne Déesse n’aurait rien de
frugal. Terentia tira son époux de côté et l’enlaça. Je ne pouvais entendre ce
qu’elle lui disait, et ne cherchai pas à le faire, mais je la vis lui prendre
le bras pour s’y agripper farouchement, puis nous nous mîmes en route, entourés
de légionnaires, chaque conspirateur escorté jusqu’au temple de la Concorde par
un sénateur de rang consulaire. Ils faisaient tous profil bas ; même
Cethegus avait perdu son arrogance. Aucun d’entre nous ne savait à quoi s’attendre.
Lorsque nous pénétrâmes dans le forum, Cicéron prit Sura par la main en marque
de respect, mais le patricien semblait trop hébété pour même le remarquer. Je
marchais juste derrière eux avec le coffret contenant les lettres. Le plus
remarquable n’était pas tant l’importance de la foule – il va sans
dire que la population s’était rendue en masse au forum pour voir ce qui se
passait – que le silence complet qui régnait.
Le temple était cerné d’hommes en armes. Les sénateurs
présents virent avec stupéfaction Cicéron conduire Sura par la main. Une fois à
l’intérieur, les conjurés furent enfermés dans une petite réserve, près de l’entrée,
pendant que Cicéron montait directement sur l’estrade de fortune où l’on avait
installé sa chaise curule, juste sous la statue de la Concorde.
— Pères conscrits, commença-t-il, aujourd’hui même, peu
avant l’aube, les vaillants préteurs Lucius Flaccus et Gaius Pomptinus,
agissant sur mon ordre, et à la tête d’une grande troupe d’hommes armés, ont
procédé sur le pont Mulvius à l’arrestation d’un groupe de cavaliers qui se
dirigeaient vers l’Étrurie…
Personne ne chuchotait ; personne même ne toussait. Il
régnait un silence tel que je n’en avais jamais entendu au sénat – un
silence terrible, menaçant, oppressant. Je pus de temps à autre lever les yeux
de mes tablettes pour regarder César et Crassus. Les deux hommes se tenaient
penchés en avant sur leur siège, écoutant avec concentration chaque mot
prononcé par Cicéron.
— Grâce à la loyauté de nos alliés, les députés
gaulois, qui furent épouvantés par ce qu’on leur proposait, j’avais déjà été
averti des activités séditieuses de certains de nos concitoyens et pu prendre
les mesures nécessaires…
Lorsque le consul finit son exposé, qui comprenait une
description du complot visant à mettre le feu à certaines parties de la ville
et à massacrer de nombreux sénateurs et autres personnalités éminentes, il y
eut comme un soupir, une sorte de grognement collectif.
— La question qui se pose à présent, citoyens, est de
savoir ce qu’il convient de faire de ces scélérats. Je propose que nous
examinions dans un premier temps les preuves contre les accusés, puis que nous
écoutions ce qu’ils ont eux-mêmes à dire. Faites entrer les témoins !
Les quatre Gaulois arrivèrent les premiers. Ils furent
visiblement impressionnés par les longues rangées de sénateurs en toge blanche,
formant un tel contraste avec leur propre apparence. Titus Volturcius fut
introduit ensuite, tremblant tellement qu’il arrivait à peine à marcher le long
de l’allée centrale. Une fois qu’ils eurent gagné leur place, Cicéron appela
Flaccus, qui se tenait posté à l’entrée :
— Fais entrer le premier prisonnier !
— Lequel veux-tu interroger d’abord ? questionna
Flaccus d’une voix forte.
— Le premier que tu trouveras, répliqua Cicéron avec
détermination.
Et c’est ainsi que Cethegus, escorté par deux gardes, fut
amené de la réserve, à l’autre bout du temple, jusqu’à l’endroit où Cicéron
attendait. En se retrouvant
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