Constantin le Grand
murmuré :
— Je ne partage pas ta foi, Denys. Et je ne puis faire lire par l’un de mes prêtres ton avenir dans les entrailles d’un animal. Ce n’est pas ainsi qu’on dévoile les intentions de ton Christos. Ton sacrifice, Denys, est peut-être de rester vivant et de me faire entendre la parole de ton Dieu. Pourquoi pas ?
Il s’est éloigné en ajoutant, sans tourner la tête :
— À toi de prier et d’obtenir la réponse.
Après son départ, je me suis agenouillé et l’aube est venue alors que je priais et méditais encore.
J’avais rassemblé au cours de la nuit tout ce que j’avais retenu depuis que je vivais auprès de Constantin.
J’avais beaucoup appris.
Je n’ignorais plus rien du caractère, des vices ou des vertus, de la sagesse ou des ambitions de Dioclétien, de Maximien, de Galère.
Dioclétien était à la fois habile et sage, convaincu qu’il fallait arracher de l’Empire les pousses encore frêles de la foi chrétienne.
Il s’y employait avec l’aide de Maximien, ambitieux, attaché au pouvoir alors que Dioclétien répétait qu’un jour, bientôt, il abdiquerait, et que ce jour-là Maximien, le second empereur, devrait le suivre dans sa retraite.
Mais alors accéderait au premier des trônes impériaux le césar Galère, un homme cruel et frustre, le plus acharné à détruire les églises et à supplicier les chrétiens.
Constance Chlore deviendrait le second auguste en lieu et place de Maximien. C’était un homme prudent, de santé fragile, n’ayant jamais manifesté d’hostilité aux chrétiens, mais survivrait-il longtemps, et quel césar lui donnerait-on pour l’assister ? Son fils Constantin ?
Je savais que celui-ci l’espérait.
Je l’avais accompagné dans la petite ville de Drepanum, non loin de Nicomédie. Là vivait dans sa ville natale sa mère, Hélène, répudiée par Constance Chlore. Dioclétien avait exigé de lui cette rupture et l’avait contraint à épouser Theodora, la jeune fille de l’épouse syrienne de Maximien. Galère, pour sa part, avait épousé Valeria, la fille de Dioclétien.
Ainsi se nouaient entre empereurs et césars des liens familiaux dont Constantin était écarté. Il avait épousé à Drepanum une jeune femme, Minervina, dont il avait eu un fils, Crispus.
Je n’imaginais pas qu’ainsi surveillé comme un otage par Dioclétien, fils d’une mère répudiée, jalousé et craint par Galère, Constantin pût un jour, simplement, si Dioclétien et Maximien abdiquaient, devenir le césar de son père Constance Chlore.
Peut-être même mon sort serait-il scellé avant que ces événements aient lieu ?
Dioclétien et Galère, l’empereur et le césar d’Orient, avaient reconnu et vanté les qualités militaires et le courage de Constantin.
Il avait été nommé centurion de la garde impériale, puis tribun militaire.
Mais ainsi on le désignait, au cours des guerres contre les Perses ou les peuples barbares des rives du Danube, pour les attaques les plus risquées. On l’encensait, mais on l’envoyait à la rencontre de la mort.
Et Galère l’incitait à descendre dans l’arène afin de s’y mesurer avec les plus pervers et les plus habiles des gladiateurs ou les plus féroces des ours.
À chaque fois, j’avais prié pour que Constantin l’emportât.
Et Dieu m’avait exaucé. Constantin avait pu lever son glaive trempé dans le sang des bêtes fauves ou de ses adversaires.
Mais, au sortir de l’arène, je lui murmurais que chacun de ces combats qu’on l’obligeait à livrer était un piège qu’on lui tendait. On espérait – Galère d’abord, mais sans doute aussi Dioclétien – qu’ainsi la mort le frapperait sans qu’on eût besoin de le faire égorger dans sa chambre ou empoisonner au cours d’un banquet. Ce serait une mort glorieuse, et l’on célébrerait avec faste son souvenir.
Voulait-il cela ?
— Interroge ton Dieu, m’avait-il répondu en souriant. Peut-être qu’il sait. Prie pour moi, Denys. Je ne connais pas ton Christos, mais je crois à la puissance que dispense la foi en lui.
L’aube est venue.
Je n’ai plus entendu les voix des sentinelles.
J’ai ouvert la porte. Le vestibule était vide.
Je n’avais que quelques pas à faire pour quitter le palais impérial et croiser les prétoriens de Dioclétien et de Galère. Et il eût suffi que je prononce le nom de Christos ou que je me signe devant eux pour qu’ils se saisissent
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