Constantin le Grand
n’ai pas eu besoin de lui parler.
Je me suis agenouillé devant lui et j’ai embrassé le bord de sa tunique.
Puis je me suis retiré.
Et Eusèbe de Nicomédie a pu entrer dans la chambre.
Il est mort ce 22 mai, jour de la Pentecôte, le Saint-Esprit descendant sur lui en cette trois cent trente-septième année après la venue de Christos, faisant ainsi de lui, Constantin, le premier empereur chrétien, méritant, pour l’appui qu’il avait apporté à l’Église chrétienne, d’être nommé le treizième apôtre.
J’ai entendu Eusèbe de Nicomédie proclamer :
— Constantin le Grand a rejoint au Ciel le Dieu qui l’a choisi pour sauver l’empire du genre humain. Et Constantin s’est assis à la droite du Fils de Dieu.
J’ai vu le corps embaumé de l’empereur revêtu d’une tunique de soie blanche à liseré d’or.
Il reposait dans un cercueil recouvert de feuilles d’or. Dans le palais impérial de Constantinopolis, sa ville, où on l’avait ramené, la plèbe est venue s’agenouiller devant lui qui paraissait si jeune, à peine endormi, vivant.
ÉPILOGUE
39
On n’entendra plus la voix de Denys l’Ancien.
Il est mort après avoir raconté comment il avait vu sceller dans un sarcophage de porphyre la dépouille de Constantin le Grand, l’empereur baptisé au dernier jour de sa vie.
Marcus Salinator a trouvé Denys l’Ancien bras écartés, les mains agrippées aux rebords de la longue écritoire sur laquelle étaient dispersés des rouleaux et des feuilles de parchemin, des tablettes, des stylets, les Histoires et les Annales composées par les ancêtres de Marcus.
Denys semblait avoir voulu rassembler, tirer à lui tous ces mots, ce passé qu’il avait, au cours des mois précédents, reconstitué.
Sa tête et son buste affaissés cachaient la dernière page de son manuscrit.
Marcus s’est penché et a découvert le visage serein de Denys l’Ancien, celui d’un homme enfin délivré qui voit s’avancer vers lui la mort espérée, au moment qu’il avait souhaité.
Car, interrompant son récit en ce mois de mai 337, alors que s’achevaient les funérailles de Constantin le Grand, Denys l’Ancien n’a pas eu à revivre les années troublées qui ont suivi.
Elles ont commencé par un jour de carnage, quand, quelques semaines seulement après la mort de Constantin le Grand, l’un de ses fils, Constance, arrivé en hâte d’Antioche, a ordonné le meurtre des demi-frères de son père, ses oncles, et de leurs enfants, ses cousins.
Les soldats de la garde impériale ont pénétré, glaive au poing, dans le palais impérial. Ils ont égorgé Dalmatius, Julius Constantius, Hannibalius, leurs fils, leurs proches, leurs amis, leurs conseillers, leurs affranchis et jusqu’à leurs esclaves.
Le sang a maculé les dalles de marbre des salles du palais. Sur le tissu bleu des tentures, les doigts des mourants ont laissé des traînées rougeâtres.
Les tueurs n’ont épargné que trois jeunes enfants, Gallus et Julien, les fils de Dalmatius, et l’un des compagnons de jeu de Julien, Marcus Salinator.
Plus tard, Julien, devenu empereur, se souviendra de cette nuit de meurtres, de la terreur d’enfant qu’il avait éprouvée, de la haine qu’il a vouée à ces assassins, les fils de Constantin le Grand, qui clamaient et imposaient leur foi chrétienne, mais qui s’étaient conduits comme les plus criminels des barbares.
C’était donc cela, la vérité et la religion de Christos ? a-t-il pensé.
Il s’est tourné vers les dieux anciens, Jupiter, Sol invictus , Hercule et Cybèle, manière de s’éloigner de ces chrétiens meurtriers, de ne pas partager leur religion hypocrite.
Il le redira à Marcus Salinator, lui aussi survivant, lui aussi blessé à jamais par ce qu’il avait vu, entendu, ces cris d’effroi, ce heurt des lames sur le marbre : « C’est une chose incontestée que je tire mon origine de la même lignée paternelle que Constance : mon père et le sien étaient frères du même sang, celui de Constance Chlore. Et pourtant, malgré les liens de parenté intime qui nous unissaient, tu te souviens comment ce souverain, que l’on disait si bon, adepte d’une religion de la charité, du pardon, de l’amour, de la compassion, de la vérité, s’est conduit ! Mes six cousins, qui étaient aussi les siens, mon père, qui était son oncle, puis encore un autre oncle commun du côté paternel, et
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