Constantin le Grand
contre les esclaves qui s’affairaient sur le chantier du mausolée. La plèbe refusait elle aussi de reconnaître que son empereur victorieux était mortel et qu’il s’apprêtait à quitter ce monde, puisqu’il avait choisi le lieu où son corps reposerait et serait honoré.
Je voyais Constantin se redresser comme si l’enthousiasme et les protestations de la foule l’avaient rassuré.
Mais je lisais sur son visage la lassitude et même l’épuisement. Il n’aimait plus la guerre ni la vie des camps. Il était l’empereur unique qui bientôt aurait régné trente années, et c’était le laps de temps que Sol invictus lui avait prédit.
Il avait cru en cette prophétie prononcée par un prêtre de Sol invictus , dans ce temple élevé à Grannum, au pied des Vosges. Le terme alors lui avait semblé lointain. Mais, maintenant, c’était comme un mur tout proche, devant lui, qu’il pouvait toucher.
Il voulait l’oublier, se redressait, commençait à parler avec sa voix forte d’autrefois, allant et venant dans la grande salle d’audience du palais où il avait rassemblé ses légats, ses tribuns, les évêques. J’étais près de lui, m’étonnant de l’énergie qui l’animait.
Il disait que, les Goths ayant été battus, les Vandales, devenus colons et soldats, allaient défendre la frontière du Danube si ceux-là tentaient à nouveau de franchir le fleuve. La sécurité de l’Empire était donc désormais assurée sur ce flanc-là. Mais il y avait l’autre : celui le long duquel les Perses se faisaient menaçants.
Il se tourna vers moi et m’interpella.
Pourquoi l’Église ne lui demandait-elle pas d’agir contre le roi des Perses, Châhpuhr II, alors qu’en Balylonie, en Assyrie, en Séleucie, en Arménie, ce souverain avait donné l’ordre de persécuter les chrétiens ? Châhpuhr les accusait d’être les soldats cachés de l’Empire romain. Ne partageaient-ils pas avec Constantin la même religion de Christos ?
Châhpuhr s’attaquait aussi aux marchands romains qui, par voie de mer ou en empruntant les longues pistes des caravanes, gagnaient l’Orient indien, y achetaient tissus de soie et perles, parfums et épices, toutes ces marchandises précieuses que l’on retrouvait à Constantinopolis dans les boutiques ouvertes le long de la Mesée.
Le roi des Perses accusait ces marchands de répandre la religion de Christos et d’être, eux aussi, les avant-gardes de l’empereur Constantin.
— Je vais combattre Châhpuhr et sa religion ! a lancé Constantin.
Il voulait, a-t-il ajouté, que des évêques et des prêtres se joignent aux légions. Lui-même brandirait le labarum et célébrerait le culte de Christos à chaque étape. Il ferait construire des églises dans les villes conquises pour que la foi chrétienne s’y répandît.
Il voulait assurer la paix du genre humain en rassemblant les hommes dans une unique religion, celle de Christos.
Tout à coup, sa voix s’est brisée, il s’est mis à respirer bruyamment comme si on lui avait pris la poitrine en étau.
J’ai songé que la mort ressemble à ces plantes grimpantes qui s’agrippent au tronc des arbres et les étouffent.
Enfin Constantin a recouvré son souffle et, quelques jours plus tard, il a pris la tête de l’armée partant pour l’Orient combattre les Perses du roi Châhpuhr.
J’ai chevauché comme si souvent aux côtés de Constantin et j’ai cru qu’il avait réussi pour de bon à desserrer l’étreinte de la mort.
Il s’élançait le premier à la tête de la cavalerie germanique et gauloise. Les Perses reculaient. Le soir, au camp, autour du labarum planté en terre, nous remerciions par nos prières Christos de nous avoir conduits à la victoire. !
Je ne quittais pas des yeux Constantin.
La fatigue creusait ses traits, et lui, que j’avais vu mener l’assaut, m’apparaissait tout à coup accablé par l’ennui, indifférent même au culte que nous célébrions, aux succès qu’il avait remportés. Il me semblait entendre la mort lui murmurer :
« À quoi bon cette nouvelle victoire ? Ton temps approche de la fin. Tu as parcouru ta route. Laisse à tes successeurs le soin d’aller plus loin. Tu as vaincu les Goths, les Sarmates, les Germains, les Alamans, les Vandales et tant d’autres peuples barbares. En Bretagne, le long du Rhin et du Danube, tu as établi des frontières sûres pour l’Empire. Tu as fondé la Nova Roma . Mais tu ne pourras pas
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