D'Alembert
fait bien pis encore. Au moment où sa candidature paraît en bonne voie, il la compromet à plaisir : c'est à n'y rien comprendre ! Dans un opuscule qu'aucun devoir ne commande, il parle des relations des hommes de lettres avec les grands comme s'il n'avait plus besoin de protecteurs.
Pour Mme du Deffant, c'est de la folie ; pour d'Alembert, une occasion de rire : «Voilà, dit-il, comme il faut traiter ces gens-là ; on n'est point de l'Académie, mais on est quaker et on passe le chapeau sur la tête devant l'Académie et devant ceux qui en font être.»
Un autre jour, il écrit à sa protectrice obstinée : «Que diable avez-vous donc dit au président sur mon compte ? Est-ce encore pour l'Académie ? Eh ! mon Dieu ! laissez tout cela en repos. J'en serai si on m'en met, voilà tout.»
Il devait échouer ; cela ne manqua pas. D'Alembert, qui n'avait obtenu à l'Académie des sciences le modeste titre d'adjoint qu'à sa quatrième candidature, fut également battu trois fois à l'Académie française.
Buffon avait remplacé, en 1753, Languet de Gergy, archevêque de Sens.
Quatre places furent vacantes en 1754. D'Alembert dut laisser passer avant lui le comte de Clermont, Bougainville et de Boissy.
L'élection du comte de Clermont fit scandale. On a gardé le souvenir d'une épigramme qui valut, dit-on, quelques coups de bâton au poète Roi :
Trente-neuf qu'on joint à zéro,
Si j'entends bien le numéro,
N'ont jamais pu faire quarante.
D'où je conclus, troupe savante,
Qu'ayant dans vos cadres admis
Clermont, cette masse pesante,
Ce digne cousin de Louis,
La place est encore vacante.
De Boissy, poète comique, s'était élevé jusqu'à la tragédie. La supériorité du genre était alors acceptée.
Son Alceste, tel était le sujet, se termine par la mort du traître qui, se voyant démasqué, sort d'embarras en se poignardant.
Il tombe mort sur la scène, et Hercule s'écrie, admirant ce vigoureux coup de poignard :
Dieux, avec tant de force et d'intrépidité,
Que n'avait-il un coeur à la vertu porté !
Ce sont les derniers vers de la pièce.
Alceste n'avait pas été représentée depuis 1727, on l'avait peut-être oubliée. On avait oublié aussi les débuts de Boissy, dont les Satires, premier fruit de sa muse, avaient, dit d'Alembert dans son éloge, offensé les hommes de lettres les plus éminents.
Le troisième concurrent préféré à d'Alembert, Bougainville, était secrétaire perpétuel de l'Académie des inscriptions et belles-lettres.
Ce choix, s'il est permis de juger à distance, était le plus mauvais des trois : Bougainville, dit Grimm, qui peut-être exagère, fut nommé malgré l'Académie et malgré le public. Il accroissait ses chances en se disant mourant : «Nous croyez-vous, lui répondit Duclos, chargés de donner l'extrême-onction ?»
La séance de réception de Bougainville est restée célèbre. Ayant à faire l'éloge de La Chaussée, adversaire décidé de ses précédentes candidatures, pour montrer la grandeur de son âme, il le compare à Molière et, tout bien pesé, lui accorde la préférence.
L'Académie resta froide, le public rit beaucoup, et l'on continua à regretter l'absence du nom de Molière dans «cet auguste sanctuaire où le petit-fils du grand Condé (le comte de Clermont) venait confondre ses lauriers avec ceux du neveu du grand Corneille (Fontenelle)».
La nomination de d'Alembert fut très disputée.
La suppression récente de deux volumes de l'Encyclopédie lui donnait un caractère d'opposition auquel l'Académie n'était pas habituée.
Le candidat élu, d'après les usages, était soumis dans un second scrutin à l'approbation de l'Académie. On votait par boules noires ou blanches.
On a prétendu que, pour d'Alembert, le nombre des boules noires devait entraîner l'exclusion et qu'une fraude de Duclos en dissimula quelques-unes. L'anecdote est fausse, mais les boules noires furent nombreuses.
La réception de d'Alembert eut beaucoup d'éclat ; son prédécesseur était Surian, évêque de Vence. L'Encyclopédie dans ce jour de triomphe se montra courtoise et modeste ; d'Alembert eut le bon goût de louer sans réticence les vertus de son prédécesseur et sa foi sans ironie. On exagérerait en disant que l'éloge de d'Alembert a rendu l'évêque de Vence illustre : il l'a préservé de l'oubli.
Les éloges académiques de d'Alembert, rarement cités et fort peu lus, sont moins inconnus cependant que les oeuvres de Surian et que
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