D'Alembert
l'histoire de l'évêché de Vence.
D'Alembert a composé beaucoup d'éloges. Dans ce genre de littérature, a dit avec esprit M. Guizot, beaucoup de travail et beaucoup de soin imitent le talent sans y prétendre. D'Alembert, qui n'avait pas besoin d'imiter le talent, travaillait peu ses éloges. Ce n'est pas à la postérité qu'il les adresse : on ne doit pas, comme on l'a fait trop souvent, juger par eux de son style et de son goût. D'Alembert au collège méritait le premier rang dans tous les genres d'étude, il n'excellait pas moins en amplifications qu'en vers latins. Il chercha pendant toute sa vie, dans ces exercices de plus en plus faciles à sa plume exercée, une distraction à ses profondes recherches.
Le succès toujours grand de ces oeuvres éphémères a été une des joies de sa vie ; il acceptait toutes les occasions de les renouveler, souvent les faisait naître : on le trouvait toujours prêt. Lecteur très habile, trop habile, disaient les malveillants, il amusait toujours l'auditoire : c'était tout ce qu'il voulait. Une lecture faite par lui, quel qu'en fût l'auteur, assurait à une séance publique une affluence dont il était fier.
À l'Académie des sciences comme à l'Académie française, avant même d'en être secrétaire perpétuel, il prenait la parole à presque toutes les réunions publiques et se chargeait, avec une complaisance empressée, de lire les discours des lauréats et les pièces de poésie couronnées.
Souvent même, les jours de réception, sans avoir de rôle officiel, il ouvrait la séance par quelques réflexions ou quelques conseils sur des sujets de morale, de poésie ou d'histoire. C'est ce que Bachaumont appelle faire la parade. La production rapide de ces travaux sans gloire ne ralentissait ni sa correspondance toujours active, ni son ardeur toujours féconde pour la science.
«Vous êtes, lui écrivait Voltaire à l'occasion de l'une de ses lectures, le seul écrivain qui n'aille jamais ni en deçà ni au delà de ce qu'il veut dire. Je vous regarde comme le premier écrivain du siècle.» La postérité n'a pas ratifié la louange.
Diderot trouve d'Alembert délicat, ingénieux, plaisant, ironique et hardi, mais il l'accuse d'écrire sur la poésie en géomètre.
Qu'est-ce que cela veut dire ?
Le domaine des vérités démontrées est étroit. Serait-il vrai qu'en y pénétrant on se condamne à n'en plus sortir et que l'habitude de la ligne droite rende l'esprit mauvais juge des gracieux détours de la fantaisie.
Il n'y a pas à cela plus de raison que pour qu'un peintre ignore la musique. Pour être différentes, les facultés de l'esprit ne s'excluent pas. L'habitude de bien raisonner est une force, il est rare qu'elle soit inutile, plus rare encore qu'elle puisse nuire.
D'Alembert a écrit dans l'éloge de Bossuet : «De toutes les études profanes, celle des mathématiques fut la seule que le jeune ecclésiastique se crut en droit de négliger. Les connaissances géométriques ne lui parurent d'aucune utilité pour la religion. On nous accuserait d'être à la fois juge et partie, si nous osions appeler de cette proscription rigoureuse. Cependant nous serait-il permis d'observer, tout intérêt particulier mis à part, que le théologien naissant ne traite pas avec assez de justice et de lumière une science qui n'est pas aussi inutile qu'il le pensait au théologien même. Science en effet si propre non pas à redresser les esprits faux condamnés à rester ce que la nature les a faits, mais à fortifier dans les beaux esprits cette justesse d'autant plus nécessaire que l'objet de leurs méditations est plus important ou plus sublime. Bossuet pouvait-il ignorer que l'habitude de la démonstration, en nous faisant reconnaître et saisir l'évidence dans tout ce qui en est susceptible, nous apprend encore à ne point appeler démonstration ce qui ne l'est pas et à discerner les limites qui, dans ce cercle étroit des connaissances humaines, séparent la lumière du crépuscule et le crépuscule des ténèbres.»
L'intention est évidente, mais pour la rendre claire, et c'est tout ce que voulait d'Alembert, il aurait suffi de trois lignes.
D'Alembert, pour rire et pour faire rire, dépassait quelquefois les limites du bon goût.
Il est impossible de l'approuver lorsque, faisant l'éloge de M. de Clermont-Tonnerre, évêque de Noyon, dont Boileau disait : «Il m'estimerait bien davantage, s'il savait que je suis gentilhomme», il changeait le
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