D'Alembert
écrivait :
«Cher défenseur de la raison, macte animo, et passez joyeusement votre vie à écraser de votre main les têtes de l'hydre.» «Je ne vous le dissimule pas, mon cher maître, répondait d'Alembert, vous me comblez de satisfaction par tout ce que vous me dites de mon ouvrage. Je le recommande à votre protection et je crois qu'en effet il pourra être utile à la cause commune et que l'infâme, avec toutes les révérences que je fais semblant de lui faire, ne s'en trouvera pas mieux. Si j'étais, comme vous, assez loin de Paris pour lui donner des coups de bâton, assurément ce serait de tout mon coeur, de tout mon esprit et de toutes mes forces, comme on prétend qu'il faut aimer Dieu, mais je ne suis posté que pour lui donner des croquignoles, en lui demandant pardon de la liberté grande, et il me semble que je ne m'en suis pas mal acquitté.»
Dans la première partie du livre de d'Alembert, les croquignoles ne pleuvent pas encore.
«On ne peut mieux comparer cette société, partout entourée d'ennemis et partout triomphante l'espace de deux siècles, dit d'Alembert, qu'aux marais de Hollande, cultivés par un travail opiniâtre, assiégés par la mer qui menace à chaque instant de les engloutir, et sans cesse opposant leurs digues à cet élément destructeur.
«Qu'on perce la digue en un seul endroit, la Hollande sera submergée après tant de siècles de travaux et de vigilance. C'est aussi ce qui est arrivé à la société. Ses ennemis ont enfin trouvé l'endroit faible et percé la digue ; mais ceux qui l'avaient construite avec tant de soin et de patience, ceux qui ont ensuite veillé si longtemps à sa conservation, ceux qui ont cultivé avec tant de succès le terrain que protégeait cette digue, n'en méritent pas moins d'éloges.»
Dans la distribution des coups de houssine, les jésuites, on le voit, n'ont pas leur juste part.
D'Alembert raconte le rôle des jésuites pendant le premier siècle et les raisons, fort honorables pour eux, de leurs succès :
«La libéralité qui admet et encourage tous les talents, la longue durée du noviciat, les sérieuses épreuves qui précèdent l'engagement : nul n'est admis sans vocation et sans un dévouement à toute épreuve.
«Les pratiques religieuses leur sont rendues faciles : qui travaille prie. Ils se lèvent, a-t-on dit par raillerie, à quatre heures du matin pour réciter ensemble des litanies à quatre heures du soir.
C'est qu'ils croient plus honorable et plus utile d'avoir parmi eux des Pétau et des Bourdaloue que des fainéants et des chantres.»
Tout cela n'est certes pas d'un adversaire fanatique et aveugle.
«Les jésuites sont unis pour le bien de la cause commune. Dans les autres sociétés, les intérêts et les haines réciproques des particuliers nuisent presque toujours au bien du corps. Chez les jésuites il en est autrement. Attaquez un seul d'entre eux, vous êtes sûr d'avoir la société pour ennemie. Jamais républicain n'aima la patrie comme chaque jésuite aime sa société. Le dernier de ses membres s'intéresse à sa gloire, dont il croit qu'il rejaillit sur lui quelques rayons. Ce n'est pas sans raison qu'on les a définis une épée dont la pointe est à Rome.
«Cet attachement des jésuites à leur compagnie ne peut être que l'effet de l'orgueil qu'elle leur inspire et nullement des avantages qu'elle procure à chacun de ses membres. Le mérite modeste ou borné au travail de cabinet y est méconnu, peu considéré, quelquefois persécuté si l'intérêt de la société le demande.
«À tous ces moyens d'augmenter leur considération et leur crédit, ils en joignent un autre, non moins efficace. C'est la régularité de la conduite et des moeurs. Leur discipline sur ce point est aussi sévère que sage, et, quoi qu'en ait publié la calomnie, il faut avouer qu'aucun ordre religieux ne donne moins de prise à cet égard. Ceux d'entre eux qui ont enseigné la morale la plus monstrueuse, qui ont écrit sur les matières les plus obscènes, ont mené la vie la plus édifiante et la plus exemplaire. C'était au pied du crucifix que le père Sanchez écrivit ses abominables et dégoûtants ouvrages, et on a dit en particulier d'Escobar, également connu par l'austérité de ses moeurs et le relâchement de sa morale, qu'il achetait le ciel bien cher pour lui-même et le donnait à bon marché aux autres.»
»
D'Alembert raconte l'histoire des lettres de change signées par les jésuites d'Amérique et
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