Dans le jardin de la bête
en moins probable. » Comme Messersmith, il constatait que les persécutions étaient omniprésentes, même si elles avaient changé de nature, pour devenir « plus subtiles et moins affichées ».
En mai, il signala que le parti nazi 7 avait lancé une campagne contre les « râleurs et les mécontents » qui avait pour but de redynamiser la Gleichschaltung . Inévitablement, cette campagne accentua la pression sur les Juifs. Der Angriff , le journal de Goebbels, poussait ses lecteurs à « garder un œil vigilant sur les Juifs et à dénoncer chacun de leurs mouvements », rapportait Dodd. Les propriétaires juifs du Frankfurter Zeitung avaient été contraints d’abandonner leur participation majoritaire dans le journal, de même que les derniers patrons juifs du célèbre empire d’édition Ullstein. Une grande société de caoutchouc dut fournir la preuve qu’elle n’employait aucun Juif avant de répondre à des appels d’offres municipaux. La Croix-Rouge allemande se vit brusquement demander de certifier que ses nouveaux donateurs étaient d’origine aryenne. Et les juges de deux villes différentes accordèrent à deux hommes l’autorisation de divorcer pour la seule raison que leur épouse était juive, argumentant que ces mariages ne pouvaient produire qu’une progéniture de « sang-mêlé » qui affaiblirait la race allemande.
« Ces exemples et d’autres de moindre importance révèlent une méthode différente de traitement des Juifs, écrivit Dodd. Une méthode peut-être moins calculée pour entraîner des répercussions à l’étranger, mais reflétant néanmoins la détermination des nazis à chasser les Juifs du pays. »
La population aryenne de l’Allemagne 8 subissait également un contrôle plus sévère. Dans une autre dépêche rédigée le même jour, l’ambassadeur expliquait comment le ministère de l’Éducation avait annoncé que la semaine scolaire serait divisée de sorte que deux soirs – celui du samedi et du mercredi – seraient réservés aux exigences des Jeunesses hitlériennes.
Dorénavant, le samedi s’appelait le Staatsjugendtag , la journée nationale de la jeunesse.
Le temps restait chaud, avec de rares averses. Le samedi 2 juin 1934, la température frisait les vingt-sept degrés, et l’ambassadeur Dodd nota dans son journal : « Pour la première fois, l’Allemagne paraît aride 9 ; les arbres et les champs sont jaunes. Les journaux sont pleins d’articles sur la sécheresse en Bavière, et aux États-Unis aussi. »
À Washington, Moffat mentionnait aussi le temps. Dans son journal, il parle de « La canicule » 10 et il situait au dimanche 20 mai le jour où elle avait commencé, avec un record de trente-trois degrés. Il se trouvait dans son bureau.
Personne ne le savait encore, bien sûr, mais l’Amérique venait d’entrer dans une deuxième série de sécheresses catastrophiques qui allaient bientôt transformer les Grandes Plaines en Dust Bowl , un immense « bol de poussière ».
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D ES PROBLÈMES
CHEZ LE VOISIN
C omme l’été approchait, la sensation de malaise à Berlin devenait de plus en plus aiguë. L’atmosphère était « tendue, électrique 1 , écrit Martha. Chacun sentait qu’il y avait quelque chose dans l’air, sans savoir ce que c’était ».
L’ambiance étrange et l’état fragile de l’Allemagne furent au centre des conversations d’un Tee-Empfang – une réception en fin d’après-midi – organisé chez Putzi Hanfstaengl le vendredi 8 juin 1934, en présence de la famille Dodd.
En rentrant chez eux dans la soirée, les Dodd ne purent s’empêcher de remarquer qu’il se passait quelque chose d’inhabituel sur la Bendlerstrasse, la dernière petite rue sur leur trajet avant qu’ils arrivent chez eux. Là, bien en vue, se dressaient les bâtiments du Bendler Block, le quartier général de l’armée. De fait, les Dodd et l’armée étaient presque voisins sur l’arrière, au fond du jardin – un homme au bras musclé, lançant un caillou depuis le terrain de la famille, aurait pu briser une des vitres du bâtiment de l’armée.
Le changement était manifeste 2 . Des soldats étaient postés sur le toit des bâtiments. Des patrouilles lourdement armées arpentaient les trottoirs. Des camions militaires et des voitures de la Gestapo obstruaient la chaussée.
Les forces restèrent déployées durant la nuit du vendredi au samedi.
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