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Dans le jardin de la bête

Dans le jardin de la bête

Titel: Dans le jardin de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erik LARSON
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par le contentement visible du couple.
    Ce fut Mildred qui aborda les questions qui flottaient dans l’air depuis leur arrivée ; elle prit soin de s’exprimer avec nuance. Pendant qu’elle faisait une promenade jusqu’au lac avec Fallada, d’après un récit détaillé d’un des biographes de ce dernier, elle parla de sa vie aux États-Unis et combien elle aimait marcher au bord du lac Michigan.
    « Ce doit être difficile pour vous de vivre dans un pays étranger, remarqua Fallada. Surtout pour quelqu’un qui s’intéresse à la littérature et à la langue. »
    En effet, dit-elle, « mais cela peut être difficile aussi de vivre dans son propre pays quand votre passion est la littérature ».
    Fallada alluma une cigarette.
    Parlant à présent très lentement, il dit : « Je ne pourrais jamais écrire dans une autre langue, ni vivre ailleurs qu’en Allemagne.
    – Où l’on vit est peut-être moins important, Herr Ditzen, que comment on vit », riposta-t-elle.
    Il ne répondit pas.
    Au bout d’un moment, elle demanda :
    « Peut-on écrire ce qu’on veut ici, de nos jours ?
    – Cela dépend du point de vue que l’on adopte. »
    Il y avait des difficultés et des exigences, des mots à éviter, mais, au final, la langue restait, expliqua-t-il. « Oui, je crois qu’on peut encore écrire ici à notre époque si on respecte les règles nécessaires et si on fait des concessions. Pas sur ce qui compte, bien sûr.
    – Qu’est-ce qui compte et qu’est-ce qui ne compte pas ? » demanda Mildred.
     
    On déjeuna et on prit le café. Martha et Mildred grimpèrent à pied jusqu’au sommet du Bohnenwerder pour admirer la vue. Une brume légère adoucissait les contours et les couleurs, donnant une impression de paix aux alentours. En bas de la pente, cependant, l’humeur de Fallada avait viré à l’orage. Il jouait aux échecs avec Ledig-Rowohlt. La question de l’introduction de Qui a mangé à la gamelle ? vint sur le tapis et Ledig-Rowohlt s’interrogea sur sa nécessité. Il dit à Fallada qu’elle avait été au centre de la conversation dans la voiture pendant le trajet jusqu’à Carwitz. En apprenant cela, Fallada se mit en colère. Il ne supportait pas d’être l’objet de commérages et doutait fort que quiconque eût le droit de le juger, surtout pas deux Américaines.
    Quand Martha et Mildred eurent rejoint le groupe, la conversation se poursuivit ; Mildred y prit part. Martha fit de son mieux pour écouter, mais son allemand n’était pas assez bon pour lui permettre de saisir tous les détails. Cependant, elle se rendait compte que Mildred « interrogeait avec tact » Fallada sur sa décision de se retirer du monde. À l’évidence, il ne supportait pas qu’on lui réclame des explications.
    Plus tard, Fallada leur fit visiter la maison – il y avait sept pièces, l’éclairage électrique, un vaste grenier, et divers poêles. Il leur montra sa bibliothèque avec les diverses éditions étrangères de ses propres romans et les conduisit ensuite dans la chambre où son fils faisait la sieste. « Il se révéla mal à l’aise et gauche, raconte Martha, bien qu’il voulût paraître fier et heureux de son nourrisson, de son jardin qu’il entretenait lui-même, de sa grosse femme simple, des nombreuses traductions et éditions de ses livres tapissant les étagères. Mais c’était un homme malheureux. »
    Fallada prit des photographies du groupe ; Boris fit de même. Sur le trajet du retour à Berlin, les quatre voyageurs parlèrent de nouveau de Fallada. Mildred le jugeait lâche et faible, mais ajouta : « Il a une conscience et c’est bien. Il n’est pas heureux, il n’est pas nazi, ce n’est pas un cas désespéré. »
    Martha se rappela une autre impression : « J’ai vu pour la première fois l’empreinte de la peur manifeste sur le visage d’un écrivain. »
     
    Fallada finit par devenir une figure controversée de la littérature allemande, honni dans certains cercles pour n’avoir pas su tenir tête aux nazis, mais défendu par d’autres pour avoir refusé de choisir le chemin plus sûr de l’exil. Dans les années qui suivirent la visite de Martha, Fallada dut de plus en plus conformer ses écrits aux desiderata de l’État nazi. Il en vint à corriger des traductions pour Rowohlt, parmi lesquelles La Vie avec mon père , de Clarence Day, à l’époque très populaire aux États-Unis, et à écrire des

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