Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Dans le jardin de la bête

Dans le jardin de la bête

Titel: Dans le jardin de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erik LARSON
Vom Netzwerk:
jambes écartées, tel un lutin des bois gargantuesque. Le couteau de chasse était toujours dans sa ceinture et, de nouveau, il brandit le bâton médiéval. Il disserta sur les vertus de sa défunte femme, l’emplacement idyllique de son tombeau, et ses projets pour faire transférer sa dépouille, ce qui aurait lieu en grande pompe dans dix jours, au moment du solstice d’été, jour que l’idéologie païenne des fidèles du national-socialisme avait chargé d’une importance symbolique. Hitler serait présent, de même qu’une noria d’officiers militaires, des SS et des SA.
    Enfin, « lassés de cet étrange étalage », Dodd et Phipps allèrent en tandem faire leurs adieux à Göring. Mme Cerruti, qui guettait manifestement l’occasion de s’éclipser, les battit de vitesse. « Lady Cerruti vit notre intention, écrivit Dodd, et elle se leva promptement de sorte à ne laisser personne empiéter sur sa détermination à rester en tête, quoi qu’il arrive. »
    Le lendemain, Phipps nota dans son journal, au sujet de la journée portes ouvertes chez Göring : « Tout le déroulement des opérations a été tellement étrange que cela donnait, par moments, une impression d’irréalité. » Mais l’épisode lui avait fourni un aperçu, aussi précieux que dérangeant, sur la nature de l’autorité nazie. « On était surtout frappé par la naïveté hautement pitoyable du général Göring, qui exhibait tous ses jouets comme un grand et gros enfant gâté : ses bois primitifs, son bison et ses oiseaux, son pavillon de chasse et le lac et la plage, sa blonde “secrétaire particulière”, le mausolée de sa femme, les cygnes et les blocs de grès sarsen… Et puis je me suis souvenu de ses autres joujoux, moins innocents et dotés d’ailes, qui pourraient être lancés un jour dans leur mission meurtrière, dans le même esprit enfantin et avec la même jubilation enfantine. »

43
    U N P YGMÉE
PREND LA PAROLE
    D ésormais, partout où Martha et son père allaient, ils entendaient des rumeurs selon lesquelles l’effondrement du régime hitlérien pourrait être imminent. Tandis que les chaudes journées de juin se succédaient, les rumeurs devenaient plus détaillées. Dans les cafés et les bars, les clients se lançaient dans leur jeu franchement hasardeux consistant à composer et comparer la liste de ceux qui constitueraient le prochain gouvernement. Les noms de deux anciens chanceliers  1  revenaient régulièrement : le général Kurt von Schleicher et Heinrich Brüning. Selon certains, Hitler resterait chancelier mais serait placé sous la houlette d’un nouveau cabinet, plus puissant, avec von Schleicher en tant que vice-chancelier, Brüning comme ministre des Affaires étrangères et le capitaine Röhm à la Défense. Le 16 juin 1934, onze mois après son arrivée à Berlin, Dodd écrivit au secrétaire d’État Hull : « Partout où je vais, on me parle de résistance  2 , de putschs possibles dans les grandes villes. »
    Et puis il y eut un événement qui, jusqu’à ce printemps, aurait paru inconcevable étant donné les redoutables obstacles à la dissidence dressés par l’autorité d’Hitler.
    Le dimanche 17 juin, le vice-chancelier von Papen devait faire un discours à Marbourg à l’université de la ville, située à une courte distance au sud-ouest de Berlin en train. Il n’avait pas consulté le texte avant de monter à bord, à cause d’une conspiration entre le rédacteur de ses discours, Edgar Jung, et son secrétaire, Fritz Günther von Tschirschky und Boegendorff. Jung était un éminent conservateur et il était devenu si résolument opposé au parti nazi qu’il avait brièvement envisagé d’assassiner Hitler. Jusque-là, il n’avait laissé transparaître aucune opinion antinazie dans les discours de von Papen, mais il sentait que le conflit qui couvait au sein du gouvernement représentait une chance unique. Si von Papen s’élevait contre le régime, se disait Jung, ses propos pourraient enfin pousser le président Hindenburg et l’armée à chasser les nazis du pouvoir et à réprimer les SA, en vue de rétablir l’ordre dans le pays. Jung avait révisé minutieusement le discours avec Tschirschky, mais les deux hommes l’avaient volontairement remis à la dernière minute au vice-chancelier pour qu’il n’ait pas d’autre solution que de le prononcer. « Le discours avait exigé des mois de travail  3 ,

Weitere Kostenlose Bücher