Dans le jardin de la bête
mais des années plus tard, dans une lettre à Agnes Knickerbocker, la femme de son ami correspondant, Knick, elle reconnut à quel point la perception des autres pouvait facilement déformer la réalité. « Je n’ai jamais œuvré à la chute 7 ni même au renversement du gouvernement américain, ni en Allemagne ni aux USA ! écrivit-elle. Je crois cependant que le seul fait de connaître et d’aimer Boris suffisait pour que certains suspectent le pire. »
À l’époque, il n’y avait rien à suspecter, insistait-elle. « C’était plutôt une de ces passions totalement absorbantes qui n’avaient aucun fondement politique, sauf que, à travers lui, j’en suis venue à apprendre quelque chose de l’URSS. »
Le vendredi 29 juin 1934 régnait la même atmosphère d’orage imminent qui avait marqué les semaines précédentes. « C’était le jour le plus chaud 8 que nous avions eu cet été-là, rapporte Elisabetta Cerruti, la femme de l’ambassadeur italien. L’air était si lourd et si humide que nous avions du mal à respirer. Des nuages noirs se profilaient à l’horizon, mais un soleil implacable brûlait au-dessus de nos têtes. »
Ce jour-là, les Dodd donnaient un déjeuner chez eux, auquel étaient conviés von Papen et d’autres personnalités du corps diplomatique ou du gouvernement, dont les Cerruti et Hans Luther, l’ambassadeur d’Allemagne aux États-Unis, présent à Berlin à ce moment-là.
Martha y assistait aussi ; elle regarda son père et le vice-chancelier von Papen s’éloigner des autres pour une conversation privée dans la bibliothèque, devant la cheminée éteinte. « Von Papen semblait sûr de lui 9 et aussi affable qu’à l’ordinaire », écrit-elle.
À un moment donné, Dodd vit von Papen et Luther se rapprocher discrètement l’un de l’autre, « l’air assez tendu ». Dodd s’avança pour intervenir et les conduisit dans l’agréable jardin d’hiver, où un autre invité se joignit à leur conversation. Faisant allusion aux photographies de presse prises pendant le Derby de Hambourg, Dodd dit à von Papen : « Le Dr Goebbels et vous sembliez en très bons termes 10 à Hambourg l’autre jour. »
Von Papen rit.
Durant le déjeuner, Mme Cerruti était placée à la droite de l’ambassadeur américain et von Papen juste en face, près de Mme Dodd. L’inquiétude d’Elisabetta Cerruti était palpable, même pour Martha qui l’observait de loin. « Elle était assise à côté de mon père 11 , au bord de l’effondrement, parlant à peine, blême, soucieuse et les nerfs à vif. »
« Votre Excellence, il va se passer quelque chose de terrible 12 en Allemagne, déclara-t-elle à l’ambassadeur américain. Je le sens dans l’air. »
Selon une rumeur ultérieure, elle savait déjà ce qui allait se produire. Elle trouvait cela stupéfiant 13 . Plus tard, elle affirma que sa réflexion à Dodd ne concernait que la météorologie.
Aux États-Unis, ce vendredi, la « grande vague de chaleur » s’aggrava. Dans des endroits humides comme Washington, il devenait quasi impossible de travailler. Moffat nota dans son journal : « Température : 38,5 °C à l’ombre aujourd’hui 14 . »
La chaleur et l’humidité étaient si insupportables que, le soir approchant, Moffat et Phillips et un troisième haut fonctionnaire se rendirent dans la maison d’un ami de Moffat pour profiter de sa piscine. L’ami était absent à ce moment-là. Les trois hommes se déshabillèrent et se mirent 15 à l’eau. Elle était chaude et ne leur apporta qu’un maigre réconfort. Personne ne nagea. Ils restèrent assis à discuter tranquillement, seule leur tête émergeant de l’eau.
Ils parlèrent vraisemblablement de Dodd. Quelques jours plus tôt, Phillips avait évoqué dans son journal les sorties incessantes de Dodd contre la fortune des diplomates et des officiers consulaires. « Vraisemblablement, l’ambassadeur s’en est plaint 16 auprès du président », râlait Phillips. Dodd « n’arrête pas de se plaindre du fait qu’ils dépensent à Berlin plus que leur traitement ne le permet. Il s’y oppose vigoureusement, probablement pour la simple raison qu’il ne peut lui-même dépenser d’argent au-delà de son salaire. Il s’agit là, bien sûr, d’une attitude très provinciale ».
Curieusement, la mère de Moffat, Ellen Low Moffat, se trouvait à Berlin ce
Weitere Kostenlose Bücher