Dans le jardin de la bête
visite à Hitler pour se plaindre de la censure qui frappait son discours. « Je me suis exprimé à Marbourg 15 en tant qu’émissaire du président, annonça-t-il au chancelier. L’intervention de Goebbels me force à démissionner. Je vais le faire savoir à Hindenburg sur-le-champ. »
Pour Hitler, c’était là une menace grave. Il était conscient que le président Hindenburg avait l’autorité constitutionnelle de le congédier, qu’il demeurait le chef de l’armée régulière, et que ces deux facteurs faisaient de Hindenburg le seul personnage véritablement puissant en Allemagne sur lequel il n’avait aucun pouvoir. Hitler comprenait aussi que Hindenburg et von Papen – le « Fränzchen » (petit Franz) du président – entretenaient des liens personnels très étroits et savait que Hindenburg avait télégraphié au vice-chancelier pour le féliciter après son discours.
Sur ce, von Papen déclara à Hitler qu’il allait se rendre chez Hindenburg à Neudeck pour lui demander de l’autoriser à publier l’intégralité de son discours.
Hitler s’efforça de l’amadouer. Il lui promit de lever l’interdiction du ministre 16 de la Propagande et lui dit qu’il l’accompagnerait à Neudeck afin de rencontrer Hindenburg ensemble. Dans un moment d’étonnante naïveté, von Papen accepta.
Cette nuit-là, les fêtards du solstice allumèrent des feux de joie dans toute l’Allemagne. Au nord de Berlin, le train funèbre qui transportait la dépouille de Carin, la femme de Göring, s’arrêta dans une gare proche de Carinhall. Des formations de soldats et d’officiers nazis occupaient la place devant la gare tandis qu’un orchestre interprétait la Marche funèbre de Beethoven. D’abord, huit policiers soulevèrent le cercueil puis, avec beaucoup de cérémonie, le transmirent à un autre groupe de huit hommes, et ainsi de suite jusqu’à ce que, enfin, il fût placé sur une voiture tirée par six chevaux pour achever le parcours jusqu’au mausolée au bord du lac, dans la propriété. Hitler participait à la procession. Des soldats portaient des torches. Près du tombeau, de grandes vasques étaient remplies de flammes. Ultime détail pour donner le frisson, minutieusement orchestré, le son plaintif des cors de chasse montait de la forêt par-delà la lueur rougeoyante des torches.
Himmler arriva. Il était dans tous ses états. Il prit Hitler et Göring à part et leur annonça une nouvelle troublante – fausse, comme il ne pouvait manquer de le savoir, mais un petit coup de pouce supplémentaire était utile pour inciter Hitler à agir contre Röhm. Himmler était hors de lui parce qu’on venait juste d’essayer de le tuer. Une balle avait traversé son pare-brise. Il en accusait Röhm et les SA. Il n’y avait pas un instant à perdre, affirmait-il : les SA étaient manifestement au bord de la révolte.
Le trou dans le pare-brise, cependant, n’avait pas été pratiqué par une balle. Hans Gisevius put consulter le rapport de police. Les dégâts correspondaient plutôt à l’impact d’un caillou projeté par le passage d’une voiture. « C’est donc délibérément, froidement 17 , que [Himmler] rendit les SA responsables d’une tentative d’assassinat », écrit Gisevius.
Le lendemain, le 21 juin 1934 18 , Hitler prit l’avion pour se rendre chez Hindenburg – sans von Papen, comme c’était certainement son intention dès le départ. À Neudeck, cependant, il rencontra d’abord le ministre de la Défense, Werner von Blomberg. Le général, en uniforme, l’accueillit sur les marches du château de Hindenburg. Le ministre n’y alla pas par quatre chemins. Il fit savoir à Hitler que Hindenburg s’inquiétait de la tension croissante à l’intérieur du pays. Si Hitler ne pouvait garder la situation sous contrôle, dit von Blomberg, Hindenburg déclarerait la loi martiale et remettrait le pouvoir entre les mains de l’armée.
Quand Hitler rencontra Hindenburg, il reçut le même message. Sa visite à Neudeck dura en tout trente minutes. Il reprit l’avion pour Berlin.
Pendant toute la semaine, Dodd entendit parler du vice-chancelier von Papen et de son discours, et du fait que c’était un vrai miracle qu’il ait survécu. Les correspondants et les diplomates prirent note des activités de von Papen – les déjeuners auxquels il se rendait, avec qui il s’entretenait, qui l’évitait, où sa voiture
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