Dans le jardin de la bête
retour jusqu’à Berlin, et me suis sentie très déprimée et seule, surtout en te voyant partir si contrarié et si malheureux. »
Elle l’encourageait à se détendre et à essayer de calmer les « migraines nerveuses » persistantes qui l’accablaient depuis deux mois. « Je t’en prie, je t’en supplie, pour notre bien si ce n’est pour le tien, prends bien soin de toi et sois moins acharné et moins exigeant avec toi-même. » S’il se portait bien, lui dit-elle, il aurait encore du temps pour réaliser les projets qui lui tenaient à cœur… probablement faisait-elle allusion à l’achèvement de son Vieux Sud .
Elle craignait que tous ces soucis et cette tension, durant ces quatre années à Berlin, ne soient en partie de sa propre faute. « Peut-être ai-je été trop ambitieuse pour toi, mais cela ne veut pas dire que je t’aime moins. Je ne puis m’en empêcher – mes ambitions pour toi. C’est inné. »
Mais tout cela était bel et bien fini, lui assura-t-elle. « Décide ce qui est le mieux pour toi, ce que tu désires le plus, et je m’en contenterai. »
Sa lettre était désenchantée. Elle décrivit le chemin du retour à Berlin ce soir-là. « Nous avons bien roulé même si nous avons dépassé et croisé beaucoup de camions militaires – avec ces affreux instruments de mort et de destruction à l’intérieur. Je sens un frisson me parcourir chaque fois que j’en vois, ainsi que les multiples autres signes de la catastrophe à venir. N’y a-t-il aucun moyen d’empêcher les hommes et les nations de se déchirer ? C’est horrible ! »
C’était en 1937. Quatre ans et demi plus tard, les États-Unis entraient en guerre.
Dodd avait besoin de souffler. Il avait commencé à avoir des problèmes de santé. Depuis son arrivée à Berlin, il souffrait de problèmes gastriques et de maux de tête ; récemment, ceux-ci s’étaient aggravés. Ses maux de tête duraient parfois des semaines d’affilée. La douleur, écrivait-il, « se propageait dans les connections nerveuses 15 entre l’estomac, les épaules et le cerveau, rendant le sommeil presque impossible ». Les symptômes avaient empiré au point que, lors d’un de ses précédents congés, il avait consulté un spécialiste, le Dr Thomas R. Brown, chef du service des maladies digestives à Johns Hopkins Hospital à Baltimore (qui, lors d’un congrès sur la gastro-entérologie en 1934, indiquait avec une sobriété remarquable : « N’oublions jamais qu’il est essentiel d’étudier les selles sous tous les angles. ») En apprenant que Dodd écrivait une histoire épique du Vieux Sud et que son achèvement était le but de sa vie, le Dr Brown lui conseilla en douceur de quitter son poste à Berlin. Il dit à Dodd : « À soixante-cinq ans, on doit faire le point 16 , décider de ce qui est essentiel et dresser ses plans pour réaliser, autant que possible, les projets majeurs. »
À l’été 1937, Dodd faisait état de migraines quasi permanentes et de problèmes digestifs qui, dans un cas, l’empêchèrent de s’alimenter pendant trente heures.
Ses problèmes de santé étaient peut-être dus à quelque chose de plus grave que le stress au travail, même si le stress fut certainement un facteur déterminant. George Messersmith, qui avait fini par quitter Vienne pour Washington où il avait été nommé secrétaire d’État adjoint, écrivit dans un texte inédit que, à son sens, Dodd avait décliné intellectuellement. Il radotait dans ses lettres et son écriture se dégradait au point que d’autres dans le service les transmettaient à Messersmith pour les « déchiffrer ». Il écrivait de plus en plus à la main, se méfiant des sténographes. « Il est tout à fait évident 17 qu’il était arrivé quelque chose à Dodd, souligne Messersmith. Il souffrait d’une certaine forme de dégénérescence mentale. »
La cause de tout cela, d’après Messersmith, était l’incapacité de Dodd à s’adapter au comportement du régime nazi. La violence, la montée obsédante vers la guerre, le traitement impitoyable des Juifs… tout cela avait rendu Dodd « terriblement dépressif », remarquait le secrétaire adjoint. L’historien n’arrivait pas à comprendre que ces choses puissent se produire dans l’Allemagne qu’il avait connue et aimée quand il était jeune chercheur à Leipzig.
« Je crois qu’il était tellement atterré 18
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