Dans le jardin de la bête
net manque d’intérêt pour ce mariage. « Je pense qu’elle ne doit pas être laissée dans l’ignorance de la véritable situation, car, si nous la trompons, elle pourrait devenir aigrie et perdre foi en nous. »
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U N RÊVE D’AMOUR
D ans les mois qui suivirent l’accession d’Hitler au pouvoir, l’impression de futilité de Dodd s’accentua, et il avait d’autant plus envie de retrouver sa ferme sur les douces pentes des Appalaches, parmi les pommes rouges et les vaches nonchalantes : « Je trouve tellement humiliant 1 de serrer la main d’assassins connus et avoués. » Il devint une des rares voix au sein de l’Administration américaine à dénoncer les véritables ambitions d’Hitler et des dangers de la position isolationniste des États-Unis. Dans une lettre au secrétaire Hull, datée du 30 août 1934, il affirmait : « L’Allemagne est unie comme jamais auparavant 2 , et il y a 1 500 000 hommes qui s’arment et s’entraînent fébrilement, auxquels l’on enseigne chaque jour à croire que le continent européen doit leur être subordonné. » Il ajoutait : « Je pense que nous devons abandonner notre prétendu isolement. » Il écrivit au chef d’état-major, Douglas MacArthur : « Selon moi, les autorités allemandes 3 se préparent pour un grand combat continental. Des preuves solides en attestent. Ce n’est qu’une question de temps. »
Roosevelt partageait largement cette opinion, mais la majeure partie des Américains semblait plus que jamais désireuse de rester à l’écart des querelles européennes. Dodd s’en étonnait. Il écrivit à Roosevelt en avril 1935 : « Si les os de Woodrow Wilson 4 ne se retournent pas dans sa tombe dans la cathédrale, alors les corps ne remuent jamais dans les tombes. Peut-être pouvez-vous faire quelque chose, mais, d’après les rapports sur les positions du Congrès, je suis très dubitatif. Tant de gens… prennent l’isolement absolu pour la promesse du paradis. »
Dodd se résigna à ce qu’il appelait « La tâche délicate qui consiste 5 à observer en veillant scrupuleusement à ne rien faire ».
Son sentiment de révulsion morale le poussait à se retirer de tout engagement actif dans le Troisième Reich hitlérien. Le gouvernement, de son côté, reconnaissait qu’il était devenu un opposant irréductible et cherchait à l’isoler du débat diplomatique.
L’attitude de Dodd consternait Phillips, qui écrivit dans son journal : « À quoi diable peut servir 6 un ambassadeur qui refuse de parler avec le gouvernement auprès duquel il est accrédité ? »
L’Allemagne continuait sa progression vers la guerre et intensifiait la persécution des Juifs, faisant passer une série de lois en vertu desquelles les Juifs étaient dépouillés de leur nationalité, peu importe depuis combien de temps leur famille était installée en Allemagne ou s’ils s’étaient battus avec bravoure pour leur patrie pendant la Grande Guerre. À présent, quand Dodd traversait le Tiergarten, il constatait que certains bancs étaient peints en jaune pour indiquer qu’ils étaient pour les Juifs. Le reste, les plus confortables, était réservé aux Aryens.
Dodd assista, totalement impuissant, à l’occupation de la Rhénanie par les troupes allemandes, le 7 mars 1936, sans rencontrer aucune résistance. Il vit Berlin transformé pour accueillir les jeux Olympiques tandis que les nazis nettoyaient la ville et retiraient leurs banderoles antisémites, et puis les persécutions reprirent de plus belle quand les visiteurs étrangers furent partis. Il vit la stature d’Hitler grandir en Allemagne jusqu’à devenir celle d’un dieu. Les femmes pleuraient quand il passait à proximité ; les collectionneurs de souvenirs ramassaient la terre là où il avait posé le pied. Au rassemblement du Parti en septembre 1936 à Nuremberg, auquel Dodd ne se rendit pas, Hitler plongea son public dans un état proche de l’hystérie. « Que vous m’ayez trouvé 7 … parmi tous ces millions de gens est le miracle de notre époque ! brailla-t-il. Et que je vous aie trouvés, c’est la chance de l’Allemagne ! »
Le 19 septembre 1936, dans une lettre portant la mention « ultra confidentiel », Dodd confia au secrétaire Hull combien il trouvait frustrant d’observer les événements sans que quiconque ose intervenir. « Avec une armée dont la taille 8 et la
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