Dans le jardin de la bête
par tout ce qui se passait en Allemagne et les dangers que cela représentait pour le monde qu’il n’était plus capable de pensée raisonnée ni de jugement », commentait Messersmith.
Après une semaine à la ferme, Dodd se sentit beaucoup mieux. Il se rendit à Washington et, le mercredi 11 août, rencontra Roosevelt. Au cours de leur conversation d’une heure, Roosevelt lui fit savoir qu’il aimerait qu’il reste à Berlin quelques mois de plus. Il recommanda vivement à Dodd de donner autant de conférences que possible pendant son séjour aux États-Unis et de « dire la vérité sur la situation » 19 , un ordre qui confirmait à ses yeux que le président lui faisait toujours confiance.
Mais pendant que Dodd se trouvait aux États-Unis, le « bon petit club » lui infligea un singulier camouflet. Un des derniers arrivés à l’ambassade de Berlin, Prentiss Gilbert, le chargé d’affaires qui remplaçait l’ambassadeur en son absence, se vit recommander par le Département d’État d’assister au prochain rassemblement du parti nazi à Nuremberg. Gilbert obtempéra. Il prit place dans le train spécial des diplomates dont l’arrivée à Nuremberg fut saluée par une escadrille de dix-sept avions militaires volant en formant une croix gammée.
Dodd sentit la main du sous-secrétaire Sumner Welles. « Je pense depuis longtemps que Welles 20 s’oppose à moi et à toutes mes recommandations », nota Dodd dans son journal. Le secrétaire adjoint R. Walton Moore, un des rares alliés de Dodd au Département d’État, partageait l’antipathie de Dodd à l’égard de Welles et confirma ses craintes : « Il n’y a pas le moindre doute 21 que vous avez pointé avec justesse l’influence qui détermine très largement la politique du Département depuis mai dernier. »
L’ambassadeur fulminait. C’était précisément en restant à l’écart de ces congrès, pensait-il, qu’il pouvait exprimer ses véritables sentiments, ainsi que ceux des États-Unis, à l’égard du régime hitlérien. Il envoya une protestation bien sentie et – croyait-il – confidentielle au secrétaire Hull. À la consternation de Dodd, il y eut de nouveau une fuite. Le matin du 4 septembre 1937, le New York Herald Tribune publia un article sur ce sujet, qui reproduisait un paragraphe entier de sa lettre, ainsi qu’un télégramme ultérieur.
La lettre de Dodd mit en rage le gouvernement d’Hitler. Le nouvel ambassadeur allemand aux États-Unis, Hans-Heinrich Dieckhoff, déclara au secrétaire d’État Hull que, même s’il ne formulait pas une demande officielle en vue de la révocation de Dodd, il « entendait bien faire comprendre 22 que le gouvernement allemand considérait que celui-ci n’était plus persona grata ».
Le 19 octobre 1937, Dodd rencontra une deuxième fois Roosevelt, cette fois au domicile du président à Hyde Park – « un endroit merveilleux » 23 , d’après Dodd. Son fils Bill l’accompagnait. « Le président exprima son inquiétude concernant les affaires étrangères », nota Dodd dans son journal. Ils parlèrent du conflit sino-japonais, qui venait d’éclater, et de la perspective de la conférence de paix qui devait se tenir à Bruxelles dans l’espoir d’y mettre fin. « Une chose le préoccupait, rapporte Dodd. Les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et la Russie pouvaient-ils coopérer ? »
Ils discutèrent ensuite de l’Allemagne. Dodd demanda à Roosevelt de le maintenir en place au moins jusqu’au 1 er mars 1938, « en partie parce que je ne souhaite pas que les extrémistes allemands s’imaginent que leurs réclamations… ont obtenu toute satisfaction ». Il eut l’impression que Roosevelt était d’accord.
Dodd poussa le président à choisir un autre professeur d’histoire, James T. Shotwell de Columbia University, pour le remplacer. Roosevelt paraissait disposé à prendre cette idée en compte. Comme l’entretien parvenait à son terme, Roosevelt invita Dodd et Bill à rester pour le déjeuner. La mère de Roosevelt et d’autres membres du clan Delano se joignirent à eux. Dodd parle d’un « moment délicieux ».
Comme il s’apprêtait à partir, Roosevelt lui dit : « Écrivez-moi personnellement concernant la situation en Europe. J’arrive très bien à déchiffrer votre écriture. »
« J’ai promis de lui envoyer ces lettres confidentielles, note-t-il
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