Dans le jardin de la bête
puissance augmentent de jour en jour ; avec des milliers d’avions prêts à lâcher immédiatement des bombes et à répandre du gaz toxique sur les grandes villes ; et avec tous les autres pays, petits et grands, en train de s’armer comme jamais auparavant, on ne peut se sentir nulle part en sécurité, écrivait-il. Quelles erreurs et quelles gaffes ont été commises depuis 1917, et surtout au cours des douze derniers mois… et aucun peuple démocratique n’agit, aucune sanction économique ni morale n’est prise, pour stopper le processus ! »
L’idée de démissionner prenait de plus en plus d’attrait à ses yeux. Il écrivit à Martha : « Ne le dis à personne 9 , mais je ne vois pas comment je puis continuer dans cette atmosphère au-delà du printemps prochain. Je ne peux rendre aucun service à mon pays et la tension est trop grande pour se contenter de ne rien faire. »
Entre-temps, ses adversaires au Département d’État accéléraient leur campagne pour le faire remplacer. Son rival de longue date, Sumner Welles, prit le poste de sous-secrétaire d’État, remplaçant William Phillips, devenu ambassadeur en Italie en août 1936. Plus près de lui, un nouveau contradicteur apparut, William C. Bullitt, un autre des hommes de Roosevelt triés sur le volet (au demeurant diplômé de Yale), qui fut muté de son poste d’ambassadeur en Russie à la tête de la légation américaine à Paris. Dans une lettre à Roosevelt, le 7 décembre 1936, Bullitt écrivait : « Dodd possède de nombreuses qualités 10 admirables et sympathiques, mais il est presque complètement inadapté pour son poste. Il déteste trop les nazis pour traiter avec eux ou en obtenir quelque chose. Nous avons besoin à Berlin de quelqu’un qui puisse au moins se montrer civil avec les nazis et parle l’allemand parfaitement. »
Le refus inébranlable de Dodd d’assister aux rassemblements du Parti leur restait sur le cœur. « Personnellement, je ne comprends pas pourquoi 11 il est aussi délicat », note Moffat dans son journal. Faisant allusion au discours de Dodd à Columbus Day en octobre 1933, Moffat s’interrogeait : « Pourquoi est-il insupportable, selon lui, d’entendre les Allemands s’élever contre notre forme de gouvernement quand il a décidé, à la chambre de commerce, de critiquer devant un public allemand toute forme de gouvernement autocratique ? »
Les fuites persistaient, accentuant la pression en vue d’une mise à pied de Dodd. En décembre 1936, le journaliste Drew Pearson, qui animait avec Robert S. Allen une chronique publiée dans plusieurs journaux, intitulée « Le manège de Washington », publia une charge contre l’ambassadeur à Berlin, « m’accusant violemment 12 , constata Dodd le 13 décembre, d’avoir complètement raté ma mission ici et soutenant que le président est du même avis. Première nouvelle ».
L’attaque de Pearson blessa profondément Dodd. Il avait passé presque quatre ans à s’acquitter du mandat de Roosevelt, représentant en son nom les valeurs de l’Amérique, et il pensait s’en être tiré honorablement, étant donné la nature étrange, irrationnelle et brutale du régime hitlérien. Il craignait que, s’il démissionnait maintenant, face à des accusations aussi graves, il ne donne l’impression d’avoir été poussé vers la sortie. « Ma position est difficile 13 , mais, face à de telles critiques, je ne puis démissionner au printemps, comme je l’avais projeté, notait-il dans son journal. Renoncer à mes tâches ici en de telles circonstances me mettrait dans une position défensive et complètement fausse dans mon pays. » Sa démission « serait aussitôt considérée comme un aveu d’échec ».
Il décida de repousser son départ, même s’il savait que le moment était venu de quitter la scène. Dans l’intervalle, il demanda un autre congé aux États-Unis, pour aller se reposer dans sa ferme et rencontrer Roosevelt. Le 24 juillet 1937, il effectua avec sa femme le long trajet en voiture jusqu’à Hambourg, où il embarqua sur le City of Baltimore et, à dix-neuf heures, commença la lente descente de l’Elbe jusqu’à la mer.
Sa femme eut le cœur brisé quand elle le quitta à bord du paquebot. Le lendemain soir, un dimanche, elle lui écrivit une lettre pour qu’il la trouve à son arrivée : « J’ai pensé à toi, mon ami 14 , sur tout le trajet du
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