Dans le jardin de la bête
von Hindenburg, quatre-vingt-cinq ans, conservait encore l’autorité constitutionnelle de nommer et de révoquer le chancelier et son gouvernement ; tout aussi important, il était assuré de la fidélité de l’armée régulière, la Reichswehr. En contraste avec Hindenburg, Hitler et ses adjoints étaient étonnamment jeunes – Hitler n’avait que quarante-quatre ans, Hermann Göring, quarante, et Joseph Goebbels, trente-six.
C’était très différent de lire dans le journal des articles sur le comportement fantasque d’Hitler et la brutalité de son gouvernement à l’égard des Juifs, des communistes et autres opposants, car, à travers les États-Unis, il y avait cette conviction largement répandue que ces rapports devaient être exagérés, qu’à coup sûr aucun État moderne ne pouvait se comporter de cette façon. Cependant, au Département d’État 29 , Dodd lut de la plume de Messersmith un rapport après l’autre décrivant la chute précipitée de la république démocratique en une dictature brutale. Messersmith ne faisait grâce d’aucun détail – sa tendance à « tirer à la ligne » lui avait valu très tôt le surnom de « George les quarante pages » 30 . Il racontait la violence généralisée dans les mois qui avaient suivi immédiatement la nomination d’Hitler et la mainmise croissante que le gouvernement exerçait sur tous les aspects de la société allemande. Le 31 mars, trois ressortissants américains avaient été emmenés dans un des centres de torture des SA, où on les avait laissés passer la nuit dans le froid après les avoir dépouillés de leurs vêtements. Le matin, ils avaient été roués de coups jusqu’à en perdre connaissance, et finalement jetés dans la rue. Un correspondant de United Press International avait disparu mais, après une requête de Messersmith, il avait été libéré sans dommage. Le gouvernement d’Hitler déclara un boycott d’une journée de toutes les entreprises juives d’Allemagne – magasins, cabinets d’avocats et de médecins. Et il y avait les autodafés des livres, les Juifs chassés de leurs affaires, le défilé apparemment sans fin des SA, et l’étouffement de la presse libre jadis si dynamique, laquelle avait été placée, d’après Messersmith, sous l’autorité du gouvernement à un point tel « que cela ne s’est probablement jamais vu 31 dans aucun pays. La censure de la presse peut être considérée comme totale ».
Dans une de ses plus récentes dépêches, cependant, Messersmith adoptait un ton sensiblement moins sombre, que Dodd trouva certainement encourageant. Avec un optimisme inaccoutumé, Messersmith relevait des signes indiquant que l’Allemagne se stabilisait, attribuant cela à la confiance croissante en Hitler, Göring et Goebbels. « Les principaux dirigeants du Parti 32 ont déjà été considérablement chargés par leurs responsabilités, signalait-il. De toute évidence, ils ne cessent de devenir plus modérés. »
Toutefois, Dodd n’eut jamais l’occasion de lire une lettre que Messersmith écrivit peu après, dans laquelle il revenait sur cette note optimiste. Il l’envoya au sous-secrétaire Phillips, avec la mention « Ultra confidentiel ». Datée du 26 juin 1933, cette missive atterrit sur le bureau de Phillips alors que les Dodd étaient sur le point de s’embarquer.
« J’ai essayé d’expliquer 33 dans mes dépêches que les plus hauts dirigeants du Parti deviennent plus modérés, alors que les cadres intermédiaires et les masses sont toujours aussi excessifs ; la question est de savoir si les hauts dirigeants seront capables d’imposer leur vue modérée aux masses, s’interrogeait Messersmith. Il commence à apparaître de manière assez irrévocable qu’ils ne le pourront pas, et que la pression de la base devient sans arrêt plus forte. » Göring et Goebbels en particulier ne semblaient plus aussi modérés, précisait-il. « Le Dr Goebbels proclame chaque jour que la révolution n’a fait que commencer et que ce qui a été réalisé jusque-là n’est qu’un prélude. »
On arrêtait les prêtres. Un ancien président de la basse Silésie, que Messersmith connaissait personnellement, avait été envoyé en camp de concentration. Il sentait une « hystérie » grandissante parmi les cadres moyens du parti nazi, avec la conviction que « La seule sécurité consiste à jeter tout le monde derrière
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