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Dans le jardin de la bête

Dans le jardin de la bête

Titel: Dans le jardin de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erik LARSON
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des représentants, cela risquait de « donner lieu à une explosion contre nous ». De fait, le sentiment d’hostilité à l’égard de l’immigration resterait fort aux États-Unis jusqu’en 1938, où un sondage du magazine Fortune  9  fit apparaître que les deux tiers environ des sondés répugnaient à laisser entrer les réfugiés dans le pays.
    Au sein de l’administration Roosevelt  10 , il y avait une divergence profonde sur le sujet. La secrétaire au Travail, Frances Perkins, première femme de l’histoire américaine à occuper un poste ministériel, se démena pour essayer d’amener l’administration à faciliter l’entrée des Juifs aux États-Unis. Son ministère supervisait les pratiques et la politique de l’immigration, mais ne décidait pas qui recevait réellement ou se voyait refuser un visa. Cela relevait du Département d’État et de ses consuls à l’étranger, lesquels appliquaient des points de vue franchement différents. À vrai dire, certains des plus hauts fonctionnaires des Affaires étrangères éprouvaient une franche aversion à l’égard des Juifs.
    Parmi eux se trouvait William Phillips, sous-secrétaire d’État, le second dans la hiérarchie du ministère après le secrétaire d’État Hull. La femme de Phillips et Eleanor Roosevelt étaient amies d’enfance ; c’est FDR, et non Hull, qui avait nommé Phillips à ce poste. Dans son journal intime, Phillips appelait ainsi une de ses relations d’affaires : « Mon petit ami juif  11  de Boston. » Il adorait se rendre à Atlantic City mais, dans une autre page de son journal, il précise : « L’endroit est infesté de Juifs  12 . En fait, tout le bord de mer le samedi après-midi et le dimanche est un spectacle extraordinaire – on aperçoit très peu de sable, la plage tout entière est couverte de Juifs et de Juives légèrement vêtus. »
    Un autre haut fonctionnaire important, Wilbur J. Carr, le secrétaire d’État adjoint qui supervisait les services consulaires, traitait les Juifs de kikes , « youpins »  13 . Dans une note de service sur les immigrants russes et polonais, il écrivait : « Ils sont sales, anti-américains  14  et ont souvent des habitudes dangereuses. » Après un déplacement à Detroit, il décrivit la ville comme pleine de « poussière, de fumée, de crasse, de Juifs »  15 . Il se plaignait aussi de la présence juive à Atlantic City. Il y passa trois jours avec sa femme en février et, quotidiennement, il rédigea une note dans son agenda qui dénigrait les Juifs. « Durant toute notre excursion de la journée  16  sur la promenade, nous n’avons vu que fort peu de gentils, remarqua-t-il le premier jour. Des Juifs partout, et de l’espèce la plus commune. » Avec sa femme, il dîna ce soir-là à l’hôtel Claridge et trouva la salle pleine de Juifs, « dont peu portaient une tenue convenable. Seulement deux autres à part moi étaient en smoking. Une atmosphère très désinvolte dans le restaurant ». Le soir suivant, les Carr allèrent dîner dans un autre hôtel, le Marlborough Blenheim, et le jugèrent beaucoup plus raffiné. « Il me plaît, écrivit Carr. Quelle différence avec l’atmosphère  17  juive du Claridge. »
    Un dirigeant de l’American Jewish Committee décrivait Carr comme un « antisémite et un illusionniste  18 , qui tient des propos magnifiques et s’arrange pour ne rien faire pour nous ».
    Carr et Phillips étaient partisans d’une stricte application des lois sur l’immigration du pays, qui interdisaient l’entrée à tous les immigrants « risquant de peser sur les finances publiques »  19 , la fameuse « clause LPC *  ». Intégrée à la loi sur l’immigration de 1917, elle avait été remise en vigueur par l’administration Hoover en 1930 pour décourager l’immigration à une période où le chômage atteignait des sommets. Les services consulaires possédaient un énorme pouvoir de filtrage car c’étaient eux qui décidaient quels demandeurs de visas tombaient sous le coup de la clause LPC et se trouvaient exclus d’emblée. La loi sur l’immigration exigeait aussi que les intéressés fournissent une déclaration sous serment attestant de leurs bonnes dispositions, de même que des extraits de naissance et autres documents officiels. « Il semble totalement grotesque  20 , remarquait un mémorialiste juif, d’être contraint d’aller trouver votre ennemi pour

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