Dans le jardin de la bête
et sa femme effectuèrent une sorte de pèlerinage, comme s’ils partaient pour toujours. Ils se rendirent au cimetière familial, où Dodd se tint devant la sépulture de sa mère, morte en 1909. Comme il parcourait le gazon, il tomba sur le nom de ses ancêtres tués durant la guerre de Sécession, y compris deux qui s’étaient rendus avec le général Robert E. Lee à Appomattox ** . Ce fut une visite remplie de réminiscences de « l’infortune familiale », et de la précarité de la vie. « Une journée plutôt triste » 41 , résuma-t-il.
Ils retournèrent en Virginie, à la ferme, puis gagnèrent New York en train. Martha et Bill conduisirent la Chevrolet familiale, dans le but de la déposer sur le quai, en route vers Berlin.
Dodd aurait préféré passer les deux jours suivants avec sa famille, mais le Département d’État avait insisté pour que, dès son arrivée à New York, il assiste à plusieurs réunions avec des directeurs de banques sur la question de la dette de l’Allemagne – un sujet pour lequel Dodd éprouvait peu d’intérêt – et avec des dirigeants juifs. Dodd craignait 42 que la presse américaine et allemande ne profitent de ces échanges pour ternir l’objectivité qu’il espérait présenter à Berlin. Il obtempéra néanmoins et il en résulta une journée de rencontres qui évoquent les visites successives des fantômes dans Un conte de Noël , de Dickens. Dans une lettre, un important militant de l’aide sociale juive 43 annonça à Dodd qu’il recevrait, le lundi 3 juillet au soir, la visite de deux groupes d’hommes, le premier devant arriver à vingt heures trente, le second à vingt et une heures. Les rendez-vous devaient avoir lieu au Century Club, quartier général de Dodd durant son séjour à New York.
En premier, cependant, Dodd rencontra les banquiers dans les bureaux de la National City Bank de New York qui, des années plus tard, serait rebaptisée Citibank. Dodd eut la surprise d’apprendre que la National City Bank et la Chase National Bank détenaient pour plus de cent millions de dollars d’obligations allemandes, que l’Allemagne proposait de rembourser au taux de trente cents par dollar. « Il y a eu de nombreuses discussions 44 , mais aucun accord, si ce n’est que je devais faire tout mon possible pour empêcher l’Allemagne de manquer ouvertement à ses engagements », écrivit Dodd. Il avait peu de sympathie pour les banquiers. La perspective de taux d’intérêt élevés sur les bons du Trésor allemands les avait rendus aveugles à cette menace évidente : un pays écrasé par la guerre et politiquement explosif risquait de manquer à ses engagements.
Ce soir-là, les responsables juifs arrivèrent comme prévu avec, parmi eux, Felix M. Warburg, un important financier qui avait tendance à favoriser les tactiques plus discrètes de l’American Jewish Committee, et le rabbin Wise, de l’American Jewish Congress, moins réservé. Dodd écrivit dans son journal : « La discussion s’est poursuivie 45 pendant une heure et demie : les Allemands tuent des Juifs sans arrêt ; ils sont persécutés au point où le suicide est courant (de pareils cas sont signalés dans la famille Warburg) ; et tous les biens juifs sont confisqués. »
Au cours de la rencontre 46 , Warburg semble avoir mentionné le suicide de deux membres âgés de sa famille, Moritz et Käthie Oppenheim, à Francfort, environ trois semaines plus tôt. « Aucun doute, le régime d’Hitler leur empoisonnait la vie au point qu’ils aspiraient à mettre fin à leurs jours », écrivit plus tard Warburg.
Les visiteurs de Dodd le poussèrent à réclamer à Roosevelt une déclaration officielle, mais il rechigna. « J’ai soutenu que le gouvernement 47 ne pouvait pas intervenir officiellement mais j’ai promis à tous les participants à cette rencontre que je pèserais de tout mon poids contre un traitement injuste des Juifs allemands et que, bien entendu, je protesterais contre tout mauvais traitement infligé à des Juifs américains. »
Après quoi, Dodd attrapa un train à vingt-trois heures pour Boston ; à son arrivée le lendemain de bonne heure, le 4 juillet, une voiture avec chauffeur l’emmena chez le colonel Edward M. House, un ami qui était un proche conseiller de Roosevelt, pour un petit déjeuner de travail.
Au cours d’une conversation portant sur un grand nombre de sujets,
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