Dans le jardin de la bête
les barreaux ». La nation se préparait tranquillement mais efficacement à la guerre, utilisant la propagande pour faire valoir que « Le monde entier était contre l’Allemagne et qu’elle se trouvait sans défense face au monde ». Hitler jurant de ses intentions pacifiques, c’était de la poudre aux yeux, cela n’avait pour but que de donner à l’Allemagne le temps de se réarmer, avertissait Messersmith. « Ce qu’ils veulent par-dessus tout, incontestablement, c’est faire de l’Allemagne la machine de guerre la plus redoutable de tous les temps. »
À Washington, Dodd assista à une réception donnée pour lui à l’ambassade d’Allemagne, où il fit la connaissance de Wilbur Carr. Plus tard, Carr griffonna quelques notes dans son journal : « Personne agréable, intéressante 34 , avec un bon sens de l’humour, une authentique modestie. »
Dodd rendit également visite à Jay Pierrepont Moffat, chef des Affaires de l’Europe occidentale au Département d’État, qui partageait l’antipathie de Carr et Phillips pour les Juifs 35 , de même que leur position intransigeante sur l’immigration. Moffat nota dans ses carnets sa propre impression sur le nouvel ambassadeur : « Il est extrêmement sûr de ses opinions 36 , s’exprime énergiquement sur un ton didactique, et tend à dramatiser ce qu’il veut démontrer. Le seul hic, c’est qu’il compte gérer l’ambassade avec une famille de quatre personnes à l’aide de son seul salaire, et comment il va s’y prendre à Berlin, où les prix sont élevés, cela échappe à ma compréhension. »
Ce que Carr et Moffat s’abstenaient d’exprimer dans ces remarques, c’est la surprise et le déplaisir qu’ils avaient eux-mêmes ressenti, de même que nombre de leurs pairs, lors de la nomination de Dodd. Ils formaient l’élite et appartenaient à la « carrière », et seuls les hommes possédant un certain pedigree pouvaient y entrer. Beaucoup étaient sortis des mêmes écoles préparatoires, principalement St. Paul’s et Groton, avant d’intégrer Harvard, Yale et Princeton. Le sous-secrétaire d’État Phillips avait grandi 37 à Back Bay, un quartier chic de Boston, dans une demeure victorienne gigantesque. Sa fortune lui avait garanti une indépendance confortable dès l’âge de vingt et un ans et il devint, par la suite, membre du conseil de Harvard College. La plupart de ses pairs au Département d’État étaient également fortunés et, en poste à l’étranger, dépensaient généreusement sans espérer être remboursés. L’un de ces hauts fonctionnaires, Hugh Wilson, faisant l’éloge de ses collègues diplomates, écrivit : « Ils sentaient tous qu’ils appartenaient 38 à un bon petit club. Ce sentiment favorisait un solide esprit de corps. »
D’après les critères dudit club, Dodd était la pire recrue qu’on pût imaginer.
Il rentra à Chicago pour faire ses valises, et assister à divers pots d’adieux ; avec sa femme, Martha et Bill, il partit ensuite en train pour la Virginie afin de séjourner une dernière fois dans la ferme de Round Hill. Son père John, âgé de quatre-vingt-six ans, vivait relativement près, en Caroline du Nord, mais Dodd, malgré son vœu que ses propres enfants restent proches de lui, n’avait pas prévu de le voir, étant donné que Roosevelt voulait que son nouvel ambassadeur rejoigne Berlin le plus tôt possible. Dodd avait écrit à son père pour lui annoncer sa nomination, en sachant qu’il n’aurait pas la possibilité de lui rendre visite avant son départ. Il joignait à sa lettre un peu d’argent, et précisait : « Je m’excuse d’être resté 39 si éloigné durant toute ma vie. » Son père lui répondit immédiatement pour lui dire combien il était fier que Dodd eût reçu « ce grand honneur de Washington » 40 , mais ajoutait cette fine goutte de vinaigre que seuls les parents semblent savoir distiller, ce petit ingrédient qui fait jaillir le sentiment de culpabilité et vous fait modifier vos plans. « Si je ne te revois plus de mon vivant, écrivait-il, cela ne fait rien car je serai fier de toi jusqu’aux dernières heures de ma vie. »
Dodd modifia ses plans. Le 1 er juillet, un samedi, il prit un train de nuit avec sa femme pour la Caroline du Nord. Au cours de leur visite chez le père de Dodd, ils prirent le temps de faire la tournée des hauts lieux de la ville. Dodd
Weitere Kostenlose Bücher