Dans le jardin de la bête
d’hostilité ».
Au plan personnel, cependant, Dodd trouvait ces épisodes intolérables, totalement étrangers à ce que son expérience d’étudiant à Leipzig lui avait laissé espérer. Durant les repas en famille, il condamnait ces agressions, mais s’il espérait une expression de compassion indignée de la part de sa fille, il n’en fut rien.
Martha restait encline à avoir la meilleure opinion de l’Allemagne nouvelle, en partie, comme elle le concéda plus tard, du simple fait de sa perversité de jeune femme en quête d’identité. « J’essayais de trouver des excuses 5 à leurs excès et mon père me regardait d’un œil un peu froid, quoique tolérant, et, en privé comme en public, me traitait gentiment de jeune nazie, écrit-elle. Cela me mit sur la défensive pendant un certain temps et je devins provisoirement un ardent défenseur de tout ce qui se passait. »
Elle répliquait qu’il y avait tellement d’autres bonnes choses en Allemagne. En particulier, elle faisait l’éloge de l’enthousiasme des jeunes gens du pays et des mesures que Hitler prenait pour réduire le chômage. « Je trouvais qu’il y avait quelque chose 6 de noble dans ces jeunes visages frais, vigoureux, forts que je voyais partout, et l’affirmais d’un ton combatif dès que l’occasion se présentait. » Dans des lettres envoyées aux États-Unis, elle proclamait que l’Allemagne connaissait une renaissance palpitante, « et que les reportages 7 et les méfaits évoqués dans la presse sont des exemples isolés, exagérés, de la part de gens aigris, à l’esprit étroit ».
Le vendredi qui avait commencé de façon aussi tumultueuse par l’agression contre les Kaltenborn se termina pour Dodd d’une façon infiniment plus satisfaisante.
Ce soir-là, le correspondant Edgar Mowrer se rendit à la gare du Jardin zoologique, Bahnhof Zoo, afin d’entreprendre son long voyage vers Tokyo. Sa femme et sa fille l’accompagnèrent, mais seulement pour lui dire au revoir, car elles restaient à Berlin pour surveiller l’emballage des affaires de la maison avant de le suivre rapidement.
La plupart des correspondants étrangers de la ville convergeaient vers la gare, de même que quelques courageux Allemands suffisamment audacieux pour oser se faire identifier par des agents qui surveillaient encore Mowrer.
Un officier nazi, qui avait pour mission de s’assurer que Mowrer prenait réellement le train, s’approcha de lui et, d’une voix enjôleuse, demanda : « Et quand reviendrez-vous 8 en Allemagne, Herr Mowrer ? »
Celui-ci répliqua avec panache : « Quand je reviendrai, ce sera avec deux millions de mes compatriotes. »
Messersmith le serra dans ses bras, une démonstration de soutien au profit des agents qui faisaient le guet. D’une voix assez forte pour être entendu de ces oreilles indiscrètes, Messersmith lui promit que sa femme et sa fille le suivraient sans encombre. Mowrer lui en fut reconnaissant, mais il ne pardonnait pas au consul général d’avoir refusé de le soutenir dans son désir de rester en Allemagne. Comme Mowrer embarquait dans le train, il se tourna vers Messersmith avec un demi-sourire et lui dit : « Et toi aussi, Brutus 9 . »
Pour Messersmith, c’était une réflexion cinglante. « Je me sentis malheureux et déprimé, écrit-il. Je savais qu’il devait forcément partir et, pourtant, je haïssais le rôle que j’avais joué dans ce départ. »
Dodd ne fit pas d’apparition. Il était satisfait que Mowrer soit parti. Dans une lettre à un ami de Chicago, il écrivit que Mowrer « constituait depuis quelque temps 10 , comme vous devez le savoir, un certain problème ». Dodd concéda que Mowrer était un journaliste de talent. « Son expérience 11 , cependant, après la publication de son livre » – sa notoriété et un prix Pulitzer – « fut telle qu’il est devenu plus mordant et plus irritable qu’il n’était souhaitable pour le bien des parties intéressées. »
Mowrer et sa famille arrivèrent en sécurité à Tokyo. Sa femme, Lillian, se souvint de son chagrin de devoir quitter Berlin. « Je n’ai jamais retrouvé d’amis aussi délicieux 12 qu’en Allemagne, écrivit-elle. Quand j’y repense, c’est comme regarder quelqu’un qu’on adore devenir fou sous vos yeux… et commettre des actes horribles. »
Les exigences du protocole – en allemand, das Protokoll –
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