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Dans le jardin de la bête

Dans le jardin de la bête

Titel: Dans le jardin de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erik LARSON
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qu’on pouvait souhaiter. Là aussi se trouvait le célèbre grand magasin Wertheim, un espace énorme – un Warenhaus – dans lequel une foule de clients se pressait d’un étage à l’autre à l’aide des quatre-vingt-trois ascenseurs.
    Comme la famille sortait d’une boutique, elle aperçut une formation de SA qui défilait sur le boulevard dans leur direction. Il était neuf heures vingt du matin.
    Les piétons se bousculèrent au bord du trottoir en faisant le salut nazi. Malgré ses sympathies, Kaltenborn ne souhaitait pas les imiter et il savait qu’un des principaux adjoints d’Hitler, Rudolf Hess, avait déclaré publiquement que les étrangers n’étaient pas soumis à cette obligation. « On ne doit pas l’exiger  3 , avait fait savoir Hess, pas plus qu’on exige d’un protestant de se signer quand il entre dans une église catholique. » Néanmoins, Kaltenborn enjoignit à sa femme et à ses enfants de se tourner vers la vitrine comme s’ils admiraient ce qui y était exposé.
    Plusieurs SA s’avancèrent d’un pas martial vers les Kaltenborn et leur demandèrent pourquoi ils tournaient le dos à la parade au lieu de faire le salut. Kaltenborn, dans un allemand impeccable, répondit qu’il était américain, et que lui et les siens s’apprêtaient à regagner leur hôtel.
    La foule commença à insulter Kaltenborn et à se montrer menaçante, au point que le chroniqueur fit appel à deux policiers qui se tenaient à trois mètres. Les fonctionnaires ne bougèrent pas.
    Kaltenborn et les siens commencèrent à reprendre la direction de leur hôtel. Un jeune homme s’approcha par-derrière et, sans un mot, attrapa le fils de Kaltenborn et le frappa en plein visage, assez fort pour le faire tomber sur le trottoir. Malgré tout, les policiers ne bougèrent pas. L’un d’eux sourit.
    À présent furieux, Kaltenborn empoigna le jeune assaillant par le bras et le conduisit vers les policiers. La foule devenait plus menaçante. Kaltenborn se rendit compte que, s’il persistait à vouloir obtenir justice, il risquait de plus graves ennuis.
    Finalement, un spectateur intercéda et persuada la foule de laisser les Kaltenborn tranquilles, car c’étaient manifestement des Américains. La parade reprit son chemin.
    S’étant réfugié dans l’Adlon, Kaltenborn appela Messersmith. Il était bouleversé et tenait des propos presque incohérents. Il demanda à Messersmith de venir immédiatement à l’hôtel.
    Pour Messersmith, ce fut un moment difficile mais sombrement sublime. Il expliqua à Kaltenborn qu’il ne pouvait se rendre en urgence à l’Adlon. « Il se trouvait que je devais impérativement être présent à mon bureau durant l’heure suivante », nota-t-il. Il expédia néanmoins le vice-consul, Raymond Geist, qui fit en sorte que les Kaltenborn soient escortés jusqu’à la gare ce soir-là.
    « Ironie du sort, ce fut justement un de ces incidents dont Kaltenborn soutenait qu’ils ne pouvaient se produire, écrivit Messersmith plus tard, avec une satisfaction évidente. Il me reprochait entre autres de signaler à tort que la police ne faisait rien pour protéger les gens contre les agressions. » Messersmith reconnaissait que l’incident avait dû être terriblement éprouvant pour les Kaltenborn, surtout pour leur fils. « Cependant, somme toute, c’est une bonne chose que cet épisode se soit produit car, sans cela, Kaltenborn serait rentré et aurait raconté à ses auditeurs que tout allait pour le mieux en Allemagne, à quel point les fonctionnaires américains en poste à Berlin déformaient ce qui se passait dans ce pays, et combien les correspondants de presse rapportaient les événements de manière incorrecte. »
    Messersmith alla voir Dodd et lui demanda si le moment était venu pour le Département d’État de déconseiller fermement les voyages en Allemagne. Un tel avertissement, comme le savaient les deux diplomates, aurait un effet dévastateur pour le prestige du pays.
    Dodd préférait la modération. De son point de vue d’ambassadeur, ces agressions lui apparaissaient davantage comme un embarras que comme une situation d’extrême urgence ; de fait, il faisait tout son possible pour ne pas les ébruiter. Dans son journal, il affirme avoir pu éviter que plusieurs attaques contre des Américains ne soient évoquées dans les journaux et qu’il avait par ailleurs « essayé d’empêcher des manifestations  4

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