Dans le jardin de la bête
déjà rencontré en plusieurs occasions. Hull était grand avec les cheveux argentés 18 , une fossette au menton et la mâchoire carrée. Au premier abord, il semblait être l’incarnation physique de tout ce qu’un secrétaire d’État devait être, mais ceux qui le connaissaient mieux savaient que, quand il s’emportait, il avait un penchant fort inapproprié à déverser des torrents d’obscénités, et qu’il souffrait d’un défaut d’élocution qui lui faisait prononcer les « r » comme des « w » à la manière d’Elmer Fudd, le héros de dessin animé – un trait dont il arrivait à Roosevelt de se moquer en privé, comme quand il parla un jour des « twade tweaties » de Hull (au lieu de « trade treaties » ), les traités commerciaux. Hull, comme toujours, avait quatre ou cinq crayons rouges dans sa poche poitrine, outils de prédilection de sa fonction. Il évoqua la possibilité que Dodd fût nommé en Hollande ou en Belgique, exactement comme celui-ci l’avait espéré. Mais, brusquement confronté à la réalité quotidienne de ce qu’une telle vie supposerait, Dodd se déroba : « Après avoir étudié en détail 19 la situation, nota-t-il dans son petit journal intime, j’ai annoncé à Hull que je ne pouvais accepter ce poste. »
Toutefois son nom continua de circuler.
Et à présent, en ce jeudi de juin, son téléphone se mit à sonner. Quand il porta le récepteur à son oreille, il entendit une voix qu’il reconnut instantanément.
* Litt. « champ de cailloux ». ( NdT. )
** Le « Vieux Sud » (« Old South ») comprenait la Virginie, la Caroline du Nord et du Sud, et la Géorgie. Également esclavagistes, le Delaware et le Maryland avaient choisi de rester dans l’Union et refusé de faire sécession pendant la guerre civile. Ces États ont longtemps voté démocrate, contrairement au « Deep South », qui inclut notamment l’Alabama, la Louisiane, le Mississippi et, là encore, la Géorgie. ( NdT. )
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U N POSTE À B ERLIN
P ersonne n’en voulait 1 . Ce qui paraissait une des tâches les moins ardues attendant Franklin D. Roosevelt lors de son entrée en fonction était devenu, en juin 1933, une des plus problématiques. Par rapport à la moyenne des ambassades, Berlin aurait dû être un job en or… ce n’était certes pas Londres ni Paris, mais une des plus grandes capitales d’Europe, au centre d’un pays en pleine mutation révolutionnaire sous la conduite de son nouveau chancelier, Adolf Hitler. Selon le point de vue que l’on adoptait, l’Allemagne connaissait une véritable renaissance ou un crépuscule brutal. Avec l’accession d’Hitler au pouvoir, le pays avait subi un déferlement de violence organisé par l’État. Les troupes spéciales des chemises brunes d’Hitler, la Sturmabteilung ou SA – la « section d’assaut » –, se déchaînaient, arrêtant, rouant de coups et, dans certains cas, assassinant communistes, socialistes et Juifs. Les SA installaient des prisons improvisées et des centres de torture dans des sous-sols, des hangars et d’autres lieux. Berlin possédait à lui seul cinquante de ces « bunkers ». Des dizaines de milliers de gens avaient été arrêtés et placés en « détention provisoire » – Schutzhaft –, un euphémisme risible. On estimait que cinq à sept cents prisonniers étaient morts en prison ; d’autres avaient subi le supplice dit « de la baignoire » ou de fausses pendaisons, d’après une déposition sous serment. Une prison proche de l’aéroport de Tempelhof, Columbia Haus – lieu à ne pas confondre avec Columbushaus, un immeuble moderne aux lignes nettes au cœur de Berlin –, était tristement célèbre. À la suite de ces bouleversements, un responsable juif, le rabbin Stephen S. Wise de New York, déclara à un ami : « Les frontières de la civilisation ont été franchies. »
Roosevelt fit une première tentative pour pourvoir le poste de Berlin le 9 mars 1933, moins d’une semaine après son entrée en fonction et alors même que la violence en Allemagne atteignait un paroxysme de férocité (l’investiture présidentielle en 1933 avait eu lieu le 4 mars). Il le proposa à James M. Cox, qui avait été son colistier aux élections présidentielles de 1920.
Dans une lettre empreinte de flatterie, Roosevelt écrivit : « Non seulement à cause 2 de mon affection pour vous, mais aussi parce que je pense
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